L’année 2019 est décidément particulière dans la relation d’Airbus avec les compagnies japonaises. La flotte d’Airbus dans l’archipel a passé les cent exemplaires en février, ANA a reçu son premier A380 en mars, l’a mis en service en mai sur la liaison entre Tokyo et Hawaii, et aujourd’hui, c’est Japan Airlines qui reçoit son premier A350, qui se trouve être également le premier Airbus qu’elle a jamais commandé.
Si les avions du constructeur n’ont jamais été complètement absents du ciel japonais, ils restaient une denrée rare jusqu’à récemment. Les choses ont complètement changé au début de la décennie. L’essor des low-cost a vu les premières grandes acquisitions d’Airbus de la famille A320 (en leasing), Skymark a secoué le secteur en commandant des A380 (2011), Japan Airlines a parachevé la surprise en s’engageant pour l’A350 (2013), tandis qu’ANA commandait des A320neo (2014), avant d’identifier également un marché de niche pour des A380 (2016) auxquels Skymark avait dû renoncer deux ans plus tôt, faute de financement.
L’introduction de l’A380 chez ANA était déjà un événement exceptionnel et très symbolique. Mais celle de l’A350 est « une révolution » pour Airbus comme pour Japan Airlines.
Une percée majeure chez Japan Airlines
« C’était une révolution dans l’histoire d’Airbus de pouvoir vendre à Japan Airlines », reconnaît Stéphane Ginoux, CEO d’Airbus Japan. La compagnie japonaise avait déjà eu un premier contact avec l’avionneur européen lorsqu’elle avait récupéré des A300 de Japan Air System (TDA Domestic Airlines à l’époque), mais jamais elle n’avait passé de commande directe auprès de lui. « Personne ne s’attendait à cela. »
Japan Airlines avait déjà eu des Airbus en flotte à la suite du rachat de TOA Domestic Airlines (TDA). La compagnie les avait introduits en 1980 et avait voulu conserver la livrée de l’avionneur © Airbus
Comment expliquer un tel revirement d’une compagnie qui avait été jusqu’alors complètement acquise à Boeing ? « La situation chez Japan Airlines a changé de façon dramatique après leur faillite. C’était un choc énorme qui les a forcés à se remettre en question et à repartir de zéro », explique Stéphane Ginoux. Avec l’arrivée d’une nouvelle direction à la tête de la compagnie, celle-ci a remis à plat ses processus de décision et le CEO de l’époque, Yoshiharu Ueki (devenu chairman depuis), a décidé d’instaurer une vraie compétition entre les avionneurs. « Ce qui nous a aidés aussi, c’est que Yoshiharu Ueki est un pilote, qui a été commandant de bord sur 747 : il était bien placé pour juger des performances d’un avion. Et s’il voulait réintroduire de la concurrence entre les fournisseurs de Japan Airlines, cela ne nous a pas empêchés d’avoir des discussions très longues, très compliquées et très précises. »
Reste à passer le baptême du feu, la mise en service. « Pour le moment, Japan Airlines est très contente du travail que nous avons fait et elle attendait avec impatience ses avions. » Les premiers A350-900 seront mis en service le 1er septembre sur des vols domestiques, sur les tronçons les plus exploités comme au départ de Tokyo vers Fukuoka, puis Sapporo, Okinawa et Osaka, où ils remplaceront des 767-200 ou des 777-300. Choisis dans une version Domestic avec une masse maximale au décollage de 217 tonnes (et un rayon d’action de 2 000 nm), ils seront aménagés avec une configuration triclasse relativement dense (mais à neuf sièges de front en classe économique) de 369 places (avec douze fauteuils de première classe, 94 de classe affaires et 263 en Economy), qui sera dévoilée le 20 juin.
Japan Airlines attend dix-huit A350-900 et treize A350-1000. Les appareils en version -1000 seront affectés au réseau international. « Japan Airlines va vraiment utiliser la versatilité de la famille A350, qui est très efficace à la fois sur des secteurs courts comme sur du très long-courrier (comme l’utilise Singapore Airlines avec son A350ULR) », juge Joost Van Der Heijden, directeur marketing d’Airbus pour l’Asie.
Un marché en transformation
Avec ses A350-900, Japan Airlines va tout de même perdre un petit peu de capacités sur le secteur intérieur, surtout par rapport au Triple Sept. Mais cela lui permet de parfaitement s’adapter à son marché. « Le marché domestique japonais décroît car la démographie décline : le Japon perd 200 000 habitants par an », explique Jean-Pierre Stainnack, SVP d’Airbus responsable des Ventes au Japon. « Que ce soit Japan Airlines ou ANA, les compagnies sont en train d’utiliser des avions un peu moins gros que par le passé et de remplacer des avions de 420-430 sièges par des avions de 390 sièges. En revanche, elles grossissent à l’international. Mais on ne sait pas dans quelles proportions cela peut compenser. »
Cette décroissance ne se perçoit pourtant pas grâce à l’arrivée des compagnies low-cost sur le marché. « C’est la raison pour laquelle elles ont été créées : pour attirer de nouveaux passagers », affirme Jean-Pierre Stainnack. Et sur ce marché-là, Airbus a une position dominante.
« Le début de notre histoire avec les ailes fixes au Japon a été écrit avec Peach. C’est par les low-cost, qui ne partaient de rien, que nous avons vraiment pris position sur le marché japonais », rappelle Stéphane Ginoux. Aujourd’hui, 95% de la flotte low-cost au Japon est constituée d’appareils de la famille A320. « Et nous avons confirmé les bons résultats de l’A320ceo par des commandes de neo. Cela pérennise notre présence sur un marché qui se développe, où l’arbitrage va aller progressivement vers plus de low-cost et moins de legacy », se félicite-t-il.
© Peach
Les low-cost japonaises sont toutefois elles aussi en train d’évoluer vers davantage d’international, ANA et Japan Airlines travaillant toutes deux à augmenter le rayon d’action de leurs filiales. Japan Airlines s’est engagée dans la création d’une nouvelle entité, Zipair, qui reprendra ses 787 initialement, mais a aussi décidé d’introduire trois A321LR auprès de Jetstar Japan. ANA, qui utilise également des A320 et A321 ceo et neo sur le domestique, va quant à elle continuer d’utiliser Peach, là encore en augmentant son rayon d’action avec l’A321LR, pour lequel elle s’est engagée sur deux appareils qui seront livrés à partir de l’année prochaine. « Pour les low-cost en Asie, l’A321LR permet vraiment d’aller du nord-est jusqu’au sud-ouest ; il ouvre vraiment beaucoup d’opportunités pour le même coût qu’un monocouloir qu’ils ont déjà dans leur flotte », avance Jean-Pierre Stainnack. Il ajoute que, grâce à l’appareil, les low-cost pourront ouvrir de nouvelles lignes qui ne peuvent pas être rentables en gros-porteur, notamment vers des stations balnéaires, ou aller concurrencer des compagnies traditionnelles opérant en bicouloir sur les capitales asiatiques.
Le marché est donc en train de bouger au Japon et pour atteindre l’objectif que le gouvernement japonais s’est fixé – attirer 40 millions de touristes -, les infrastructures et les flottes devront être développées. Sur ce deuxième sujet, Airbus est prêt à se positionner. L’avionneur, qui était quasiment inexistant dans l’archipel il y a encore dix ans, y détient désormais 18% de parts de marché. « Aujourd’hui, nous avons 108 Airbus en service au Japon et 80 avions en backlog. Lorsque nous aurons tout livré, nous atteindrons 30% de parts de marché, toutes choses égales par ailleurs. C’était un objectif totalement irréaliste il y a moins de dix ans. Evidemment, maintenant notre objectif est à 50% », conclut Stéphane Ginoux.
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