Après cette année 2018 réussie sur le plan commercial, qu’attendez-vous du salon du Bourget qui s’ouvre dans quelques jours ?
Les salons sont de grands rendez-vous commerciaux et une caisse de résonnance. Il faut s’attendre à ce qu’il y ait beaucoup d’annonces faites par les deux grands avionneurs, je suppose, mais aussi de notre part et celles des autres motoristes. Il y a des campagnes en cours, mais je ne peux pas vous en dire beaucoup plus à ce stade.
La transition entre le CFM56 et le LEAP s’est plutôt bien passée en 2018. Quels sont vos objectifs en 2019 ?
En 2019, notre objectif est de livrer au moins 1 800 moteurs LEAP, après en avoir livré 1 118 l’an dernier. Et au-delà de 2 000 en 2020. Je suis raisonnablement confiant sur la tenue de cet objectif.
Nous sommes revenus à l’heure chez Airbus depuis février. Nous avons complètement tenu notre engagement sur un nombre minimum de moteurs à livrer en 2018 pour assurer leurs livraisons d’A320neo équipés de LEAP.
Nous avions commencé l’année avec trois à quatre semaines de retard sur les livraisons du LEAP-1B et nous avions dit à ce moment-là que nous reviendrions à l’heure au cours du deuxième semestre. Dans la mesure où Boeing avait annoncé une baisse temporaire de ses cadences en avril, ce rattrapage s’est effectué de manière accélérée. C’est chose faite depuis début juin, puisque nous sommes désormais dans les temps chez Boeing.
Maintenant que vous êtes à l’heure, pensez-vous adapter vos cadences pour faire face à cette baisse du rythme de production des 737 MAX ?
Nous ne pouvons pas nous prononcer à la place des autorités et de notre client Boeing sur la date de retour en vol du 737 MAX, mais nous suivons la situation attentivement, en étroite collaboration avec les équipes de Boeing. Nous verrons donc comment évolue la situation du 737MAX dans les mois à venir et nous prendrons la décision adaptée à ce moment. D’autre part, nous souhaitons être en mesure de livrer les moteurs de rechange pour lesquels nous nous sommes engagés auprès des compagnies aériennes. Enfin, nous voulons constituer un petit stock de réserve, un « buffer », pour soutenir les livraisons futures.
Les livraisons sont désormais nominales chez Airbus et Boeing. © Safran / A. Daste
Avez-vous identifié et corrigé toutes les sources de ces retards ?
Nos équipes fournissent un travail de tous les jours pour piloter notre chaîne de fournisseurs. Il peut parfois y avoir des difficultés chez l’un d’entre eux et nous avons alors des plans d’action appropriés. Nos principaux points d’attention en 2018 – sur lesquels nous restons vigilants même si la situation s’améliore – étaient la forge et la fonderie, en amont de la chaîne, là où elle est la plus tendue. Si ces fournisseurs sont à l’heure, nous n’avons pas de raisons de ne pas tenir les délais en aval.
Les derniers CFM56 destinés au monde civil seront produits cette année. Cela va-t-il entraîner des réorganisations au niveau de vos moyens de production ?
A partir de 2020, nous ne conserverons qu’une petite production de CFM56 pour les moteurs militaires, mais cela ne va pas du tout entraîner de réorganisation. Il y a deux choses fondamentales. Tout d’abord, le LEAP représente une valeur de transformation industrielle plus importante que le CFM56 et avec cette transition, notre charge va plutôt croissant. Ensuite, nous continuons à produire des pièces de rechange, nécessaires pour soutenir les CFM56 en flotte. Et cela va durer un bon moment.
Avant ses déboires, Boeing souhaitait augmenter les cadences de son 737 MAX à 57 exemplaires par mois, tandis qu’Airbus vise 63 A320 mensuels et avance même des projets de l’ordre de 70 à 75 appareils par mois. Est-ce que vous êtes déjà prêts pour ces futures cadences ?
Nous avons des discussions régulières sur ces sujets avec les avionneurs, notamment Airbus, avec de vraies questions. Parmi les éléments d’appréciation de la situation, il y a d’abord la faisabilité industrielle – c’est-à-dire la capacité de la chaîne d’approvisionnement à suivre la montée en cadence. Et cette chaîne est actuellement très tendue pour les moteurs d’avions.
Nous pilotons notre chaîne de manière assez serrée, mais aussi assez prudente avec une approche étape par étape. Notre politique est de tenir nos engagements, nous ne les prenons que si nous pensons raisonnablement pouvoir les tenir. Nous ne pouvons pas décevoir nos clients.
Ensuite, nous voulons nous assurer de la pérennité des cadences demandées. Cela n’aurait pas de sens d’investir des centaines de millions d’euros pour atteindre une cadence supplémentaire si elle ne devait durer qu’un an ou deux.
CFM International lancera un nouveau moteur s’il est retenu par Boeing pour le NMA. © Safran / C. Abad
Nous entendons beaucoup parler du NMA depuis quelques années maintenant. Où en êtes-vous des discussions avec Boeing et pourriez-vous adapter le LEAP à cette gamme de poussée ?
Nous sommes intéressés et nous avons répondu à l’appel d’offres de Boeing sur le NMA dans le cadre de CFM (coentreprise à parité entre Safran Aircraft Engines et GE Aviation, NDLR). Nous avons proposé un nouveau moteur, qui ne sera pas dans la même gamme de puissance que le LEAP. Nous nous inspirons du LEAP avec une architecture similaire, mais nous proposons un moteur qui a une poussée bien supérieure.
Sur le Silvercrest, où en êtes-vous de la mise en place des correctifs sur le compresseur haute pression (HP) ?
Nous avions annoncé que nous allions redessiner le compresseur HP du moteur puis le tester au banc pour juger de ses performances à la fin du deuxième trimestre 2019. Nous avons parfaitement tenu le calendrier. Le compresseur est effectivement au banc d’essais depuis le début du mois de mai et la campagne se déroule conformément au planning de développement. Les résultats seront disponibles et partagés fin juin avec notre client Cessna .
Quelles sont les prochaines étapes prévues dans votre partenariat avec le motoriste allemand MTU Aero Engines pour le programme SCAF ?
Ce partenariat a été annoncé au mois de février, lorsque les deux ministres de la Défense française et allemande sont venues sur notre site de Gennevilliers. Elles ont notifié un premier contrat d’études d’avant-projet aux industriels, dans lequel nous allons être impliqués en tant que motoriste pour interagir avec l’avionneur des concepts et des architectures qui répondent aux besoins.
Depuis, les ministres ont annoncé leur intention de pouvoir notifier des contrats de démonstrateurs au salon du Bourget. Je sais que la volonté d’y parvenir est forte, mais c’est tout de même un calendrier assez serré.
C’est un projet qui s’inscrit sur le long terme, avec un remplacement au-delà de 2040, mais cela se prépare dès aujourd’hui. Pour le moteur, nous avons identifié trois phases majeures. La première démarre maintenant pour la maturation des nouvelles technologies qui seront nécessaires et que nous testerons sur un moteur existant à l’horizon 2025. La deuxième étape sera la réalisation d’un démonstrateur d’un nouveau moteur à l’horizon 2030. Et enfin la troisième phase sera le développement de ce nouveau moteur.
Si l’Etat en émet le désir, Safran Aircraft Engines est prêt à augmenter la poussée du M88. © Safran / P. Stroppa
Où en êtes-vous des projets d’évolution du M88 ?
Lors de sa venue à Gennevilliers, la ministre des Armées a annoncé l’octroi d’une étude amont sur les parties chaudes, le plan Turenne 2 qui se concentre notamment sur la turbine HP, pour les trois prochaines années. Nous avons ainsi un soutien de la DGA pour travailler sur des technologies nouvelles qui nous permettrons d’améliorer les performances du moteur.
Après cela, si l’Etat le souhaite, nous pourrons intégrer ces technologies au moteur du SCAF, mais aussi pour faire évoluer le M88.
Est-ce à ce moment là que l’on parlera de M88-4 ?
Le ministère des Armées a lancé le standard F4 du Rafale en début d’année et a décidé que nous serions impliqués avec le développement d’un nouveau calculateur pour le M88. Il permettra d’avoir de meilleures performances, dans la gestion de données notamment pour optimiser la maintenance prédictive.
Par ailleurs, le PEA sur les parties chaudes peut être une brique d’une évolution future du M88, mais qui n’est pas décidée pour le moment. Notre rôle d’industriel est d’être toujours prêt pour répondre à des besoins. Si le besoin d’une augmentation de la poussée du M88 est exprimée un jour, nous saurions répondre présents.
Avez-vous des projets d’utilisation accrue de la fabrication additive pour la production et la maintenance de vos moteurs, dont le M88 ?
Nous en avons déjà quelques exemples sur le LEAP et nous allons continuer à travailler sur le sujet. Si nous sommes retenus par Boeing, nous aurons aussi des pièces en fabrication additive pour le moteur du NMA. Sur le moteur M88, nous avons effectivement identifié quelques pièces pour lesquelles cela ferait du sens de passer en fabrication additive, tout comme pour le Silvercrest.
Quels bénéfices peuvent justifier de passer en fabrication additive ?
Nous prenons la décision de faire passer des pièces en fabrication additive au cas par cas. Cela fait surtout sens pour des pièces statiques mais complexes, dans le cadre de petites ou moyennes séries. Cela permet de simplifier car cela permet parfois de remplacer quelques pièces, voire quelques dizaines, par un seul élément. Les moteurs militaires ou le Silvercrest sont de bons cas d’applications.
Nous travaillons aussi sur ce sujet pour de la maintenance, avec des schémas de réparation de pièces.