Vous venez de fêter la livraison de votre 1 000e nacelle pour le moteur LEAP-1A. Comment se passe la transition de l’Airbus A320ceo à l’A320neo ?
Nous sommes dans une phase de transition bien avancée. Nous arrivons à la fin de la production programmée de longue date de l’A320ceo, pour lequel nous participons aux inverseurs de poussée du moteur CFM56, après une demande restée soutenue plus longtemps que prévu. Le calendrier précis sera fixé par l’avionneur.
Nous avons dû monter très rapidement en cadence, de façon tout à fait inédite dans notre industrie, avec l’A320neo. A peine trois ans après l’entrée de l’appareil en service, nous avons atteint la 1 000e nacelle, c’est-à-dire le 500e avion équipé du LEAP-1A. Il n’y a pas aujourd’hui de difficulté particulière sur cette montée en cadence, qui était l’un des principaux défis de ce programme.
Dès le début avec Airbus et CFM, nous avions défini qu’il fallait non seulement développer ce nouvel ensemble propulsif dans les délais et aux spécifications attendues, mais aussi préparer de suite un plan très discipliné et très serré de « ramp up » avec notre chaîne d’approvisionnement. Cette exigence a été intégrée dès la conception de la nacelle.
Comment avez-vous adapté vos moyens de production ?
Ce n’était pas « business as usual » dans notre niveau de préparation. Nous avons dû augmenter nos capacités et réfléchir à des modes de production beaucoup plus performants et compétitifs : lignes d’assemblage en partie automatisées, recours à la réalité virtuelle collaborative, mise en place de procédés AFP (placement de fibres automatique, NDLR) pour le drapage des composites pour les inverseurs.
C’est un programme qui nous a fait énormément grandir – nous et d’autres – dans l’industrialisation et l’excellence opérationnelle. Sous l’impulsion d’Airbus, nous avons mis en place des processus de revues pour évaluer en permanence et en profondeur notre niveau de préparation et de maturité en production, en interne comme en externe avec nos fournisseurs.
Nous avons aussi dû travailler avec plus de fournisseurs pour bien maîtriser les risques, avec un principe de double source à quelques exceptions près. C’est aussi le cas en interne. L’assemblage des inverseurs de l’A320neo est fait dans nos usines du Havre et de Casablanca, avec des lignes tout à fait comparables. Cela nous permet de partager les connaissances et d’avoir des capacités de rattrapage en cas de problème.
Ligne automatisée d’assemblage des nacelles pour le moteur LEAP-1A de l’Airbus A320neo. © Safran / J. Lutt / CAPA
Airbus parle dès à présent de futures montées en cadence. Est-ce que vous vous y préparez déjà ?
Le ramp up initial n’est pas encore terminé. Nous avons livrés les premières nacelles en 2016, puis plus de 200 en 2017 et plus de 400 l’an dernier. Cette année, nous allons arriver à environ 600, soit 50% d’augmentation, puis se rapprocher des 800 nacelles en 2020.
Nous avons encore des marches à gravir jusqu’en 2022, avec des augmentations régulières. Elles sont fondées au vu du nombre d’avions assemblés par mois chez Airbus et des parts de marchés du LEAP-1A. Celles-ci se sont consolidées avec le temps et sont devenues majoritaires autour de 55%, voire un peu au-delà.
Les volumes de production de nacelles pour l’A330neo sont bien différents. Est-ce que la préparation l’est aussi ?
En effet, tout ne se compare pas. Nous avons néanmoins une cadence de production à deux chiffres, très exigeante pour des produits d’un tel volume. Nous avons livré la première nacelle d’A330neo l’an dernier et il a fallu tout de suite monter en rythme de façon importante pour répondre à la demande des clients qui s’étoffe.
Nous avons tiré parti de ce que nous avons appris avec l’A320neo sur nos méthodes d’industrialisation et de production, mais aussi sur le soutien de nos nacelles en opération. Cela nous permet d’assurer un service encore meilleur pour l’A330neo.
Nous avons mis en place une chaîne très automatisée au Havre pour l’assemblage et le traitement acoustique des transcowls (partie coulissante des inverseurs, NDLR). Et nous l’avons conçue à partir d’un espace virtuel collaboratif, afin d’optimiser directement la performance, l’ergonomie, mais aussi la santé et la sécurité au travail de nos opérateurs.
Vous venez de mentionner l’importance du soutien dans ces phases de montée en cadence, comment dimensionnez-vous votre réseau en conséquence ?
Nous avons eu beaucoup d’entrées en service chez des opérateurs différents sur une période très courte. Il faut donc faire grossir nos capacités de soutien avec des équipes capables à la fois de traiter les éléments de nacelles dans nos ateliers, mais aussi de se projeter vers nos clients pour du soutien sous l’aile. Et notre centre de soutien aux clients (CSC) au Havre ne cesse de voir ses effectifs croître.
Nous devons aussi développer notre réseau MRO dans le monde, en propre et en partenariat. Au vu du volume des éléments d’une nacelle, il nous faut une certaine proximité régionale et être implantés sur les différents continents. Nous faisons croître notre site américain et nous mettons en place des capacités supplémentaires en Chine et en Asie du Sud-Est. C’est l’Asie qui aura le plus besoin d’attention dans les prochaines années.
Airbus a lancé des initiatives pour développer la continuité numérique avec DDMS et Skywise. Comment vous positionnez-vous par rapport à ces sujets ?
Nous voyons que les méthodes et les outils évoluent et nous travaillons bien sûr dans ce domaine. Nous devons avancer en même temps que les avionneurs, qui sont nos principaux clients. Le groupe Safran en a les capacités et a démarré un certain nombre de projets depuis plusieurs années. La continuité numérique permet de développer des dynamiques collaboratives beaucoup plus importantes avec le modèle numérique unique.
Nous avons un projet qui est aujourd’hui en train d’être déployé. Il s’agit d’améliorer encore les capacités de nos outils de conception numérique et de les insérer dans un schéma de gestion numérique de la configuration de nos produits tout au long de leur vie.
Nous travaillons aussi sur l’exploitation de données, en bonne intelligence avec les avionneurs et les opérateurs, pour créer de la valeur – avec davantage de maintenance prédictive par exemple. C’est l’intérêt de tous les acteurs et nous avons trouvé des façons de fonctionner.
Cellule robotisée de perçage et de rivetage pour les nacelles de l’A330neo. © Safran / P. Boulen
CFM International a fait une proposition à Boeing pour le NMA. Est-ce un projet auquel vous pourriez participer ?
Absolument. Quand un client comme Boeing a un nouveau projet d’avion, nous discutons avec lui pour le convaincre que nous pouvons apporter de la valeur. Et c’est indépendant du choix du motoriste. Boeing comme Airbus se procurent leurs éléments de nacelles directement auprès des nacellistes, et Safran Nacelles travaille avec tout le monde.
GE Aviation a été contraint d’annoncer des retards sur le GE9X, moteur du Boeing 777X pour lequel vous fournissez les tuyères en titane. Comment cela vous affecte-t-il ?
Nous fournissons ces tuyères directement à Boeing. Pour l’instant, je n’ai pas été informé d’un changement récent de la feuille de route en ce qui nous concerne.
Ce salon du Bourget a été marqué par la question de l’environnement. Au niveau de la nacelle, que faites vous pour contribuer à réduire l’empreinte écologique d’un avion ?
L’ensemble propulsif est l’un des premiers foyers de génération d’émissions de gaz, en particulier de CO2. Nous sommes déterminés à participer à une meilleure prise en compte des préoccupations environnementales comme nous l’avons déjà fait avec les neo. L’A320neo a amené une diminution de l’ordre de 20% de la consommation de kérosène (calculée par siège par rapport à l’A320ceo, NDLR) et une réduction de moitié de l’empreinte sonore. Les chiffres ne sont pas tout à fait les mêmes pour l’A330neo, mais il y a eu des progrès très significatifs.
Nous utilisons la R&T pour améliorer nos traitements acoustiques et pour optimiser la masse des ensembles propulsifs, avec de nouveaux matériaux de plus en plus légers et des architectures novatrices.
Nous avons été pionniers sur l’avion plus électrique avec l’A380 en étant les premiers à développer un ETRAS, un actionneur électrique pour les inverseurs de poussée. Nous réfléchissons aussi à des systèmes de dégivrage et de régulation thermique qui reposeraient davantage sur l’électricité. Cela permet de gagner en poids, mais aussi que l’énergie du moteur soit davantage dédiée à la propulsion plutôt qu’à l’alimentation d’autres équipements, ce qui contribue à réduire la consommation de kérosène.
Utilisez-vous la fabrication additive pour y arriver ?
La fabrication additive est un « game changer », qui peut libérer d’importantes marges de manoeuvres en termes de design et de production. Sur les nacelles, nous avons quelques projets dans ce domaines : les éléments de structure métalliques s’y prêtent, comme les poutres ou encore les cascades (grilles des inverseurs de poussée, NDLR) qui permettent d’optimiser au maximum le jet inversé.