Les temps sont déjà durs pour les grands avionneurs avec la crise liée à la pandémie, mais ils le sont encore bien plus pour Embraer aujourd’hui. L’avionneur brésilien, qui a fêté ses 50 ans l’année dernière, traverse sans doute la période la plus difficile de son histoire.
D’abord victime collatérale des déboires de Boeing avec la fin des projets de coentreprises annoncée fin avril, Embraer doit maintenant aussi gérer l’impact de la pandémie sur ses propres activités et notamment sur sa branche avions commerciaux, victime elle aussi de la fragilisation financière de ses clients.
Le premier trimestre n’a d’ailleurs pas été des plus flamboyants, avec seulement cinq appareils livrés (trois E175, un E190-E2 et un E195 E2), contre onze sur la même période un an plus tôt. Le carnet de commandes s’est même vu amputer de 25 E175 fermes et de 25 autres en option par rapport au 31 décembre dernier, son backlog totalisant 318 appareils commerciaux restant à livrer, y compris pour des besoins gouvernementaux (VIP).
Mais le deuxième trimestre s’annonce déjà bien pire, avec tout d’abord l’annonce de la compagnie aérienne brésilienne Azul de reporter les livraisons de 59 E-Jets E2 de plusieurs années. La compagnie fondée par David Neeleman est de loin le principal client de la deuxième génération d’E-Jets avec 75 E195-E2 commandés (4 déjà livrés) sur un total de 171 E2 vendus (20 déjà livrés). Azul devait initialement réceptionner ses appareils entre 2020 et 2023, mais les livraisons n’interviendront finalement plus avant l’année 2024, portant un sérieux coup dans le calendrier des livraisons de l’avionneur.
Les familles E-Jet et E-Jet E2 sont évidemment majoritairement opérées par des compagnies aériennes régionales, parfois liées à des grandes compagnies aériennes, mais souvent aussi par des compagnies totalement indépendantes, évidemment plus fragiles et ne pouvant pas bénéficier des mêmes aides financières face à la crise liée à la pandémie. La période n’est évidemment pas du tout propice aux nouvelles commandes.
De plus, les risques de faillites et de restitutions anticipées d’appareils sont donc logiquement plus importants en ce qui concerne le segment de marché occupé par la gamme d’Embraer, en particulier pour la première génération d’E-Jets, ce qui pourrait aussi peser sur l’activité liée aux services au cours des prochains trimestres.
Bien sûr, l’avionneur de São José dos Campos peut toujours compter sur sa gamme florissante d’avions d’affaires, même si l’impact de la crise économique mondiale liée à la pandémie, et notamment aux États-Unis, aura nécessairement aussi un impact sur cette activité au cours des deux prochaines années, quand bien même plus faible.
Les marges de manoeuvre sont donc devenues extrêmement limitées pour Embraer et ce sur une période de temps très courte. La reprise progressive du trafic laisse à penser que les opérateurs pourront privilégier des appareils de moindre capacité pour assurer la desserte complète de leur réseau d’avant crise, ce qui constituerait une bonne nouvelle pour l’avionneur brésilien même si de nouvelles commandes semblent à ce stade particulièrement incertaines.
À plus long terme, l’ancien rival de Bombardier se retrouve surtout bien seul face à la force de frappe d’Airbus pour placer ses E-Jets E2, comme on l’a vu ces derniers mois avec les nombreux succès de l’A220 aux États-Unis, en Europe ou en Afrique.
Une solution pourrait peut-être venir de l’élargissement de sa gamme, mais cette fois non plus en s’attaquant directement au grand duopole de façon frontale, mais en revenant sur un segment de marché plus proche de ses origines, les avions régionaux turbopropulsés.
On sait que l’avionneur brésilien travaille depuis quelques années sur un concept d’avions qui pourrait venir concurrencer la famille ATR, une famille d’appareils entièrement nouvelle qui aurait d’ailleurs pu venir enrichir le catalogue de la coentreprise avec Boeing dans l’aviation commerciale. Reste maintenant peut-être à convaincre le gouvernement brésilien…