Dans un contexte encore difficile, avec peu de perspectives d’évolutions significatives à court terme, Bruno Even, PDG d’Airbus Helicopters, a profité du salon Heli-Expo, qui s’est tenu début mars à Atlanta, aux Etats-Unis, pour nous livrer sa vision du marché. Il a ainsi affiché sa confiance dans une croissance à long terme, portée par les services, la pertinence de ses programmes et la recherche dans le domaine de la propulsion électrique et de la mobilité urbaine.
Vous signez une bonne année 2018 dans un contexte difficile. Quelles sont vos prévisions pour 2019 et au-delà ?
En 2018, nous avons fait face à un marché qui restait challengeant. Pour 2019-2020, nous ne voyons pas de croissance significative dans cet environnement. L’enjeu pour Airbus Helicopters est de rester dans la même veine qu’en 2018, avec la robustesse de notre modèle économique qui nous a permis de naviguer de façon positive, en tirant parti du marché militaire, de la croissance des services et de la bonne tenue des marchés traditionnels comme l’Europe.
Nous voyons en revanche des perspectives de croissance pour le marché de l’hélicoptère sur le moyen et long terme.
Les services représentent aujourd’hui 41% de votre chiffre d’affaires. Votre objectif est d’atteindre les 50%. Pourriez-vous aller au-delà ?
Notre véritable objectif sur les services est de continuer à apporter de la valeur à nos clients. Nous le démontrons ces dernières années à travers notre feuille de route, avec le développement des services HCare, avec des engagements plus globaux sur la disponibilité, et des services connectés. Nous avons encore annoncé de nouveaux services durant ce salon autour du digital logbook (carnet de vol numérique proposé avec Fleet Keeper, NDLR), du e-MRO, de FlyScan et des analyses de données.
La priorité est là. A partir du moment où nous apporterons de plus en plus de valeur à nos clients, ils nous feront confiance et ils nous suivront. Et là, effectivement, la part des services dans notre chiffre d’affaires sera susceptible d’augmenter, mais il ne faut pas inverser les choses.
L’hélicoptériste a présenté sa nouvelle solution d’analyses de données avec son application Flight Analyser. © Airbus Helicopters
Côté militaire, le premier contrat de MCO nouvelle génération a été attribué par la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé) à Helidax sur la flotte de Fennec de l’armée de terre. Comment percevez-vous cette situation et quelles sont vos perspectives sur les contrats à venir ?
C’est un signe très positif. Au-delà de la direction politique, cela se traduit dans les faits. Nous allons d’ailleurs être un acteur majeur de ce premier contrat attribué sur les Fennec en soutenant Helidax au niveau de l’hélicoptère.
Nous sommes aussi engagés de notre côté sur un certain nombre de travaux avec la DMAé. Je pense à la verticalisation pour les contrats Cougar/Caracal, et au contrat de support intégré pour la flotte de Tigre. Notre approche est de s’assurer que la meilleure solution soit retenue pour chacune des flottes. Nous n’avons pas vocation à être hégémoniques.
Dans le cadre de l’appel d’offres l’US Navy pour un nouvel hélicoptère d’entraînement, vous proposez le H135 qui serait produit à Colombus (Mississipi) en cas de victoire. Cette chaîne, qui assemble aujourd’hui les Lakota, pourra-t-elle être pérenne sans ce nouveau contrat ?
Nous ne sommes pas encore à la fin des livraisons des Lakota, car nous avons pris des commandes pour 51 appareils l’an dernier et nous continuons à travailler avec l’US Army pour faire de ce programme un succès.
Ensuite, nous avons un marché américain qui reste dynamique, sur lequel je vois un potentiel important et donc des opportunités d’alimenter cet outil industriel. Il est certain que dans ce cadre, la campagne pour l’US Navy viendra pérenniser et donner de la visibilité au site de Colombus.
Comme à Marignane ou à Donauwörth, nous introduisons de la flexibilité dans notre appareil industriel, avec différents types d’appareils sur une même chaîne. Et nous saurons l’appliquer à Colombus pour le H135.
Sur le H160, vous prenez le temps de faire monter le programme en maturité. Est-ce que cela correspond à une volonté d’attendre que le marché soit plus favorable pour lancer son entrée en service ?
Non, il n’y a pas de volonté d’attendre par rapport au marché. Il y a une volonté de respecter nos engagements, c’est-à-dire une certification d’ici la fin de l’année 2019, et la livraison des premières machines au cours de l’année 2020. Notre feuille de route est axée sur ces échéances, et nous sommes en ligne avec elles.
Il y a un objectif évidemment d’avoir une montée en cadence et une entrée en service de l’appareil qui assurent la maturité industrielle et technologique du produit. Le marché exprime cette volonté et nous l’avons clairement entendu. Nous l’intégrons pleinement dans le cadre de notre logique de développement.
En ce qui concerne le lancement du remplacement du Super Puma avec le programme X6, reporté sine die l’an dernier, une décision pourra-t-elle être prise dans les prochaines années ?
La décision a déjà été prise l’an dernier et je l’ai confirmée à mon arrivée (avril 2018, NDLR). Nous avions lancé une phase d’avant-projet en 2015 sur le programme X6, qui aurait pu constituer le successeur de notre famille d’hélicoptères lourds. Nous avions deux objectifs : faire une évaluation plus précise des besoins du marché et évaluer la maturité des technologies que nous aurions pu embarquer pour apporter de la valeur à travers un nouveau programme.
Cette phase d’avant-projet n’a pas été concluante et nous avons décidé de ne pas lancer ce nouveau programme. Dans le même temps, nous avons considéré que notre positionnement sur les hélicoptères lourds – à travers le NH90 sur le marché militaire et le Super Puma avec le H215 et le H225 sur les marchés civils et militaires – répond parfaitement aux attentes du marché. Au-delà du carnet de commandes bien rempli, la dynamique des dernières années le montre parfaitement.
Le marché voit dans le H225 un appareil pour aujourd’hui, mais aussi pour le moyen et long terme. Dans ce cadre là, il n’y a pas de raisons de lancer un nouveau programme comme le X6.
CityAirbus doit faire son premier vol dans les prochains jours. © Airbus Helicopters
Au cours du salon, vous avez présenté des nouveautés en termes de services, des innovations incrémentales comme le H145 à cinq pales, mais comment vous positionnez-vous sur les nouvelles technologies comme les appareils à motorisations hybrides et électriques ?
Il faut avoir une vision large de l’innovation, pas seulement au niveau des produits mais aussi des services. C’est clairement au centre de notre approche. Je crois beaucoup au pragmatisme, avec l’innovation incrémentale comme nous avons su le démontrer avec le nouveau H145. En étant à l’écoute de nos clients et agiles, nous avons pu apporter de la valeur. Cela peut aussi passer par de nouveaux hélicoptères et le H160 en est un bon exemple.
Pour l’innovation à moyen et long terme, nous avons trois priorités : l’autonomie, la connectivité, puis l’hybridation et l’électrification notamment au niveau de la propulsion. Nous les abordons à travers des briques technologiques, que nous faisons monter en maturité et validons en les embarquant dans un certain nombre de démonstrateurs, que ce soit sur de nouveaux types d’architectures comme les eVTOL, les appareils destinés à la mobilité urbaine, et les drones avec CityAirbus et Vahana, ou de nouvelles plateformes plus proches des hélicoptères classiques comme le Racer.
Notre feuille de route montre beaucoup de communalité entre ces deux perspectives. Notre mission est très clairement d’arriver à se positionner sur les deux types de marchés.
En tant que principal industriel aéronautique européen, est-ce que vous discutez déjà avec l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) de la construction de ce futur environnement de la mobilité urbaine ?
Les défis de la mobilité urbaine se trouvent à plusieurs niveaux. Il faut que nous relevions le défi technologique à travers la maturation des briques. Il va ensuite falloir adresser celui du contrôle aérien. Et il y a celui de la certification. Dans ce cadre là, nous travaillons étroitement avec l’autorité européenne car il s’agit de nouveaux types d’architectures. C’est enfin un défi en termes d’acceptation par la société.
Pour mettre en service ces nouvelles plateformes, il va falloir répondre à l’ensemble de ces défis. Et il va aussi falloir s’adresser au marché non pas en proposant la plateforme seule, mais en offrant un service dans son ensemble. Le dialogue avec l’EASA est donc évidemment clef.
Bruno Even, lors d’une conférence à Heli-Expo 2019. © Airbus Helicopters