Un avion est avant tout le couple formé par une cellule et son moteur. Les dysfonctionnements récurrents dans celui qui unissait le Falcon 5X de Dassault et le Silvercrest de Safran Aircraft Engines sont la principale raison de l’arrêt du programme. Le constructeur français s’est donc tourné vers le PW800 de Pratt & Whitney Canada – moins prometteur, mais qui a déjà démontré ses capacités sur les G500/600 de Gulfstream – pour bâtir son nouveau Falcon 6X, présenté pour la première fois le 28 février.
Dassault Aviation n’a pas tout abandonné du Falcon 5X. Il a repris plusieurs éléments de son défunt programme comme la forme aérodynamique de sa voilure ou encore sa section de fuselage extra large (1,98 m x 2,58 m). Cela devrait notamment permettre d’éviter de nouveaux essais en soufflerie. Pour autant, comme nous l’expliquions en décembre dernier, il n’était pas possible de seulement adapter le Falcon 5X pour recevoir le PW800 – plus gros, plus lourd et plus puissant que le Silvercrest.
Un avion dessiné autour du moteur
Ce sont donc bien les caractéristiques du PW800 qui ont défini les spécifications du Falcon 6X. « Nous avons dû dessiner la longueur de l’avion en fonction du moteur », explique Olivier Villa, directeur général des avions civils. Il en est de même pour d’autres critères comme la masse de l’appareil ou son autonomie. Il estime même que seuls le cockpit et les empennages sont réellement communs aux deux avions, et que tout ce qui se trouve entre ses deux éléments a changé.
Au final, le Falcon 6X mesure 25,7 m de long, soit 50 cm de plus que le Falcon 5X, avec des ajouts à l’avant et l’arrière de la cabine. Sa masse maximale au décollage (MTOW) a augmenté d’environ 4,5 tonnes, pour atteindre 35 135 kg. Deux réservoirs supplémentaires ont pu être ajoutés. Il affiche ainsi une autonomie accrue de 300 nm par rapport à son ainé et peut parcourir 5 500 nm (10 200 km), avec huit passagers à bord et une vitesse de croisière de Mach 0,80.
Outre la modification des spécifications générales de l’avion, l’intégration du PW812D va demander un travail important à l’arrière du fuselage par rapport à ce qui avait déjà été fait pour le Falcon 5X. Dassault va devoir par exemple dessiner de nouveaux points d’attache pour accueillir le moteur et sa nacelle, et adapter la structure pour en supporter le poids.
Un démonstrateur du PW812D tourne au banc depuis plusieurs mois. © Pratt & Whitney Canada
Le plus petit des PurePower
Dassault n’a pourtant pas opté pour la version la plus puissante du PW800, explique Cédric Gauthier, directeur Ventes et Marketing pour l’aviation d’affaires chez Pratt & Whitney Canada : « les moteurs de la famille PurePower (composée des gammes PW800 et PW1000, ndlr) possèdent la même architecture, mais il existe trois tailles de générateurs de gaz. Le PW812D de Dassault est basé sur le plus petit des trois, celui du PW1200G (le moteur du MRJ, ndlr). »
Le PW812D affiche ainsi une poussée maximale au décollage comprise entre 13 000 et 14 000 livres. Il est ainsi moins puissant que les PW814GA et PW815GA, qui motorisent respectivement les G500 et G600. Basés sur le PW1500G du CSeries, ils affichent une poussée maximale comprise entre 15 000 et 16 000 livres selon les versions. Et pour l’instant, aucun moteur d’avion d’affaires n’a encore été dérivé du PW1100G-JM de l’A320neo, plus gros modèle de la famille PurePower. Il faut néanmoins préciser qu’aucun exemplaire de PW800 n’intègre de réducteur, contrairement aux Geared turbofan (turbosoufflantes à engrenages) de la gamme PW1000.
Au-delà de la puissance, Cédric Gauthier assure que la seule différence majeure entre le PW812D et les PW814/815GA est le diamètre du moteur. Le premier affiche 112 cm de diamètre, tandis que les deux autres mesurent 127 cm. Il existe néanmoins une autre différence. Le PW812D reprend la même architecture axiale, composée d’une soufflante, d’un compresseur basse pression (LP) à deux étages, d’un compresseur haute pression (HP) à huit étages, d’une turbine HP à deux étages, mais adopte une turbine LP à quatre étages contre cinq pour les PW814/815GA.
Le PW812D reprend en revanche l’ensemble des technologies développées sur les PW814/815GA. On retrouve ainsi un calculateur de régulation numérique (Fadec) à double canal pour optimiser la consommation de carburant, une chambre de combustion TALON X pour réduire les émissions de NOx, de CO et d’hydrocarbures non brulés, ou encore un caisson acoustique pour diminuer l’empreinte sonore de la soufflante. Pratt & Whitney Canada estime ainsi que son PW800 présente des « améliorations à deux chiffres » par rapport à la génération précédente de moteurs dans ces trois domaines.
La maintenance a aussi été facilitée avec une installation et une dépose simplifiées, de grands panneaux d’accès aux différents systèmes, la possibilité de réaliser une inspection boroscopique à tous les étages ou encore un système de diagnostic avancé. Le besoin de maintenance programmée a été réduit de 40 % selon Pratt & Whitney Canada, avec des intervalles allongés.
Développement rapide en perspective
Maintenant que les bases du programme Falcon 6X sont posées, Dassault et Pratt & Whitney Canada vont devoir courir contre le temps. Le calendrier retenu ne laisse en effet que peu de marge de manoeuvre : le premier vol du Falcon 6X est prévu début 2021, pour une certification et une entrée en service en 2022.
Le constructeur français va devoir continuer de capitaliser sur le travail effectué sur le Falcon 5X, ainsi les probables études déjà réalisées sur le Falcon 6X depuis plusieurs mois. De son côté, le motoriste canadien va pouvoir s’appuyer sur le PW1200G, qui compte 3 400 heures d’utilisation au banc et 1 300 en vol, comme sur les PW814/815GA depuis 2015 et qui doivent entrer en service cette année.
Pratt & Whitney Canada a surtout gardé un atout dans sa manche depuis de longs mois. Cédric Gauthier a ainsi révélé qu’un démonstrateur du PW812D était déjà en essais depuis plusieurs mois. Celui-ci a déjà tourné plus de 200 heures au banc. « C’était un segment de marché qui n’était occupé par aucun autre moteur, justifie le directeur Ventes et Marketing. Et nous étions à l’écoute de ce qui se passait chez Dassault. Cela nous a permis de leur proposer rapidement un moteur. »
Ce démonstrateur ne devrait néanmoins jamais voler, même sur le banc d’essais volant de Pratt & Whitney – un Boeing 747SP doté d’un pylône pouvant accueillir un ensemble propulsif. Cette tâche sera dévolue à des prototypes plus proches de ce que sera la configuration finale du moteur. Il y a notamment un important travail d’adaptation à faire en ce qui concerne les interfaces entre les systèmes avion, nacelle et moteur, que ce se soit physiquement au niveau de la boîte d’accessoire (AGB), mais aussi au niveau logiciel. Un premier exemplaire sera rapidement assemblé, conclut Cédric Gauthier. Il n’a en revanche rien voulu dire quant au calendrier de certification du PW812D