A l’occasion d’une rencontre avec l’AJPAE (Association des journalistes professionnels de l’aéronautique et de l’espace), Guillaume Faury a évoqué les tensions que continue de rencontrer la chaîne d’approvisionnement actuellement. S’exprimant au nom du GIFAS (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales), le président d’Airbus a reconnu que ces difficultés avaient empêché les plans des grands industriels de se dérouler comme prévu.
Alors que la reprise s’est matérialisée cet été, traduisant un très fort besoin de voyager et d’utiliser l’aviation pour cela, de nouveaux obstacles sont venus perturber la route des remontées en cadences des industriels de l’aéronautique. « Nous continuons d’être dans une situation d’instabilité des supply chains », constate Guillaume Faury. Après la réduction drastique de l’activité lors de la crise sanitaire, le redémarrage a en effet lieu dans un contexte de crises multiples, dont certaines ont été aggravées par la crise en Ukraine et la poursuite de la politique zéro covid en Chine : pénurie de composants électroniques, tensions sur la fourniture de matières premières, sur disponibilité de l’énergie, sur le recrutement de compétences et la formation… Avec les très fortes interdépendances, le moindre problème se propage dans toute la chaîne logistique.
« Cela ne s’est pas déroulé comme prévu », reconnaît le président du GIFAS en évoquant les plans de production et plans industriels élaborés par les industriels et leurs fournisseurs en début d’année pour 2022. « Nous avons pu baisser les cadences très fortement très vite au début de la crise, mais cela prend plus de temps de les remettre en marche. La mise en ordre des supply chain après covid se passe beaucoup plus lentement que ce qu’on pensait raisonnablement être capable de faire. »
Le secteur travaille désormais sur l’adaptation des plans industriels pour 2023 et 2024. Les cadences continueront d’augmenter dans le segment monocouloir (plus pour du remplacement que pour de la croissance), mais pas uniquement : « ce seront des années de rebond aussi sur le long-courrier. »
Une meilleure surveillance de la chaîne d’approvisionnement
Guillaume Faury indique que l’industrie continue de surveiller attentivement sa chaîne d’approvisionnement. « Les tours de contrôle que nous avons mises en place pendant le covid pour éviter des disparitions de sociétés nous aident. Nous n’utilisons pas les mêmes outils d’action mais les outils de détection et d’identification des problèmes restent. » Cela permet une meilleure anticipation, une meilleure visibilité sur les problèmes et une recherche de solution la plus précoce possible.
« Nous essayons de trouver des solutions au cas par cas, et de compétitivité. Il y a beaucoup de complexité dans la situation. Nous aidons les entreprises à trouver du financement, à discuter avec leurs fournisseurs d’énergie…, nous avons un rôle de médiateur. » Actuellement, les coûts de l’énergie posent problème car certaines petites entreprises n’ont pas souscrit des contrats de couverture à long terme et les plus consommatrices d’énergie voient leurs coûts exploser. « Si les coûts d’énergie restent élevés durablement, les solutions ne sont pas en Europe. »
Les industriels français travaillent également à une plus grande collaboration avec leurs homologues étrangers, en Allemagne notamment, mais aussi aux Etats-Unis, où se trouve une partie importante de la chaîne logistique.
Ils cherchent également à se libérer de leur dépendance à certains fournisseurs. Le cas du titane russe est au coeur du sujet, la société russe VSMPO ayant longtemps tenu le marché. La dépendance au titane russe a été remise en question dès 2014 et l’invasion de la Crimée, mais les mesures de désengagement prennent du temps, d’autant que le report simultané de toutes les chaînes logistiques vers d’autres chaînes d’approvisionnement crée de nouveaux goulots d’étranglement. « Nous sommes dans cette phase de transition en ce moment pour arriver à un horizon relativement court terme à une désensibilisation complète. »
La dépendance à la Chine est encore plus problématique. « La situation d’interdépendance entre le monde et la Chine est très différente, elle est très forte et tissée très profondément dans l’activité économique de tous les secteurs. Elle est partout dans les supply chains. » Tout scénario de découplage similaire à celui entrepris envers l’industrie russe serait donc beaucoup plus complexe, long et dommageable. Les chaînes d’approvisionnement, plus stressées depuis la pandémie, le resteront encore longtemps selon lui, y compris en raison des facteurs géopolitiques. La conséquence est que la réflexion des stratégies d’approvisionnement s’appuiera dorénavant davantage sur le pilier résilience (diversifier les sources au cas où l’une poserait problème, par exemple) que sur le pilier compétitivité.