Airbus tourne la page A380 dans une certaine morosité. MSN 272, le tout dernier super jumbo produit par l’avionneur et sorti d’assemblage en septembre 2020, est désormais livré à Emirates, sa compagnie cliente. Cette livraison aurait pu – aurait dû – être un événement particulier avec une belle cérémonie, mais le contexte sanitaire lui a donné les allures d’une livraison classique, réalisée sans tambour ni trompette.
C’est un petit peu le reflet de l’histoire de l’A380, entre flamboyance et déception. Imaginé dans les années 1990 avec la volonté de donner un concurrent au Boeing 747, le programme A380 n’a réussi à attirer des commandes que pour 251 appareils, alors qu’Airbus prévoyait, à l’époque de son entrée en service en 2007, une demande pour près de 1 300 très gros-porteurs sur vingt ans. Aujourd’hui, 249 ont été livrés mais huit ont déjà été démantelés (cinq de Singapore Airlines, deux d’Emirates et un d’Air France), au bout d’à peine plus de dix ans de service.
De multiples obstacles à sa carrière
Plusieurs facteurs ont nui à la carrière du super jumbo et ont contribué à lui donner cette si courte espérance de vie opérationnelle. Parmi eux se comptent des difficultés industrielles au niveau du système de câblage qui ont repoussé de deux ans son entrée en service, la portant au moment de la crise financière de 2008, et ont fait exploser les coûts de développement. Plus tard, après l’accident de l’A380 de Qantas, des criques ont été détectées au niveau des ailes, puis au niveau des portes.
Par ailleurs, les compagnies aériennes n’ont pas répondu à l’évolution du trafic comme Airbus l’avait espéré. L’avionneur misait en effet sur le développement du modèle de hub, qui permettait de remplir des appareils de grande capacité avec des vols d’alimentation. Cela a fonctionné dans le Golfe et notamment chez Emirates qui a laissé tout son modèle reposer sur le concept de hub mondial. Mais ailleurs, c’est le point à point, donc les vols directs, et la multiplication des fréquences sur les routes très demandées qui ont été privilégiés, avec des appareils de taille intermédiaire, plus faciles à remplir et à rentabiliser, au détriment des avions de très grande capacité.
Enfin, les biréacteurs se sont avérés plus efficaces, le 777 tout d’abord puis les appareils de nouvelle génération que sont les 787 et A350, qui répondent par ailleurs mieux aux préoccupations environnementales croissantes de l’opinion publique.
Sans nouveau client depuis 2016 (ANA pour trois appareils) puis après la volte-face d’Emirates en 2018 qui choisit d’annuler 39 appareils en faveur des 787 et A350, Airbus annonce la fin du programme en 2019 et la fin de la production pour 2021. Aujourd’hui, l’appareil est sorti de l’offre de l’avionneur et sa ligne d’assemblage final (site Lagardère) est en reconversion pour accueillir une nouvelle ligne d’assemblage pour la famille A320.
Fin de production mais pas encore fin de règne
Lorsque la pandémie de covid-19 a éclaté, l’A380 a été parmi les premiers avions cloués au sol et placés en stockage longue durée. Seuls quatre volaient encore en avril 2020. Une immobilisation qui a rapidement pris des allures d’hécatombe lorsque plusieurs compagnies ont émis des doutes sur leur capacité à jamais le remettre en service ou ont annoncé leur retrait anticipé (en tête desquelles Air France), face à la crise durable et d’une ampleur jamais égalée du secteur long-courrier. Déjà jugés trop peu efficaces et difficiles à rentabiliser avant cette crise, les A380 semblaient n’avoir plus pour perspective que le désert ou le démantèlement, hormis chez Emirates, trop dépendante de l’appareil.
Et pourtant, la fin de 2021 aura été le cadre de son grand retour. British Airways vient de le remettre en service sur le long-courrier, Qantas a sorti son premier avion de stockage pour lui rendre sa place sur les dessertes de Los Angeles et Londres dès le printemps prochain, six sont de nouveau opérationnels chez Singapore Airlines, Emirates devrait compter une soixantaine d’exemplaires en service à la fin du mois… Même Qatar Airways, qui l’avait virtuellement enterré, en a réactivé plusieurs pour remplacer ses A350 immobilisés.
Les passagers, qui eux l’apprécient pour son silence, son espace et son confort, recommencent donc à avoir un petit peu de choix pour voler sur A380 et peuvent se rassurer : malgré le coup très dur que lui a porté la crise et même si près de la moitié de la flotte pourrait ne jamais redécoller, le super jumbo poursuivra sa mission pendant encore au moins dix ans.