L’héritage est sans doute lourd à porter. Alors que son premier vol est attendu dans les prochaines heures, ce 24 janvier selon les dernières annonces, le Boeing 777X doit subir la comparaison avec son illustre ainé : le 777 de première génération et ses 1 700 commandes, dont près de la moitié pour le seul 777-300ER, véritable best-seller de Boeing sur le long-courrier. Seul le 787-9 l’a dépassé, au cours de l’année dernière. Après un lancement commercial en fanfare au salon de Dubaï en 2013, le carnet de commandes du 777X stagne à un bas niveau. D’autant qu’il porte sur ses épaules – ou plutôt ses ailes – le poids de la conception ancienne du 777 face à son concurrent de nouvelle génération, l’A350 d’Airbus.
Retour en novembre 2013. Boeing se frottait les mains à Dubaï avec l’annonce de pas moins de 259 commandes et engagements pour le lancement du 777X : 34 pour Lufthansa, 25 pour Etihad Airways, 50 pour Qatar Airways et 150 pour Emirates. Cela représentait un potentiel de près de 100 milliards de dollars selon les prix catalogue. Dans les faits, seuls 45 appareils fermes ont été vendu au cours du salon et il a fallu attendre 2014 pour voir le carnet de commandes prendre réellement du volume. A la fin de l’année, il comptait 286 exemplaires fermes auprès de six clients.
Commandes au ralenti
Depuis seuls 58 appareils ont été vendus, avec aucun contrat signé en 2016 et en 2018. Pis, lors du dernier salon de Dubaï en novembre, Emirates a renoncé à 35 exemplaires pour prendre des 787-9. La compagnie émiratie avait pourtant annulé ses 39 derniers A380 en début d’année, ce qui aurait pu laisser le champ libre au 777X, appelé à devenir le plus gros avion de transport de passagers avec la fin de la production du géant d’Airbus en 2021. Boeing considère d’ailleurs que son 777-8 est désormais sans concurrence sur le segment des très gros porteurs.
Le carnet de commandes du 777X ne compte ainsi plus que 309 exemplaires plus de six ans après son lancement. A titre de comparaison, l’A350 XWB lancé en 2006 recueillait près 600 commandes nettes sur une période comparable après son lancement (2006-2012). Il en compte aujourd’hui 926. Boeing semble donc globalement en retard. Dans le détail, le constat est beaucoup moins défavorable qu’il n’y paraît pour l’avionneur américain. En ne considérant que l’A350-1000, seul véritable rival des 777-8 et 777-9, Airbus ne dispose que de 176 commandes fermes.
Quoi qu’il en soit, il reste beaucoup de places à prendre : Airbus prévoit plus de 4 000 livraisons d’appareils neufs sur le segment « large », qui regroupe les appareils de la taille de ses A350 et au-delà, d’ici 2038. Boeing entre moins dans les détails, mais anticipe tout de même plus de 8 000 livraisons pour les appareils bicouloirs sur la même période. Ce marché devrait se décanter dans les prochaines années avec le remplacement des premiers 777-300ER, seize ans après l’entrée en service de l’appareil chez Air France. Un mouvement de la compagnie française sur ce dossier est d’ailleurs attendu, peut-être même incessamment sous peu.
Le jeu des comparaisons
Pour s’imposer, chaque avionneur fait valoir ses arguments. Boeing présente le 777X comme « le plus grand et le plus performant de tous les avions bimoteurs, avec une consommation de carburant réduite de 12 % et des coûts d’exploitation inférieurs de 10 % par rapport à la concurrence », en l’occurrence l’A350-1000. Ce calcul est fait par siège, ce qui avantage l’avion américain. Le 777-8 est ainsi présenté pour acceuillir 384 passagers sur deux classes et le 777-9 pour 426 passagers, tandis qu’Airbus annonce 300 à 350 passagers sur trois classes pour l’A350-900 et 350 à 410 passagers pour l’A350-1000.
De son côté, l’avionneur européen annonce que ces avions sont supérieurs en comparaison par siège comme par trajet. Il estime que l’A350-1000 consomme 5% et 15% de moins que les 777-9 et 777-8 par siège, et 15% et 5% par trajet. Il met ainsi en avant la conception plus récente de son avion qui lui permet de disposer d’une masse à vide en ordre d’exploitation (OWE) inférieure de 35 tonnes à celle du 777-9 pour seulement 35 sièges de moins à bord.
Avec sa nouvelle motorisation, sa nouvelle aile allongée en composites et son aérodynamique retravaillée, Boeing semblait disposer de l’avantage sur le plan de l’autonomie. Son 777-8X peut ainsi franchir 9 300 nm, contre 8 700nm pour l’A350-1000. Les cartes ont pourtant été rebattues avec la sélection de ce dernier pour le projet Sunrise de Qantas, qui verra le développement d’une nouvelle version ultra long-courrier de l’appareil d’Airbus pour pouvoir parcourir les 9 100 nm de la Kangaroo Route.
Au-delà des arguments commerciaux, Boeing doit quoi qu’il arrive d’abord réussir le développement du 777X, qui compte un an de retard. Pénalisé notamment par des problèmes de moteur – le GE9X de GE Aviation – le 777-9 doit désormais entrer en service l’an prochain. Et pour empêcher son calendrier de glisser à nouveau, Boeing a reporté les débuts opérationnels du 777-8 au-delà de 2022.