Il est désormais dur ne pas évoquer le LEAP lorsque l’on parle de Safran. La présentation des résultats du groupe d’aéronautique et de défense français, le 27 février à Paris, n’a pas échappé à la règle. Le moteur civil a tenu le devant de la scène un long moment et a suscité de nombreuses questions. Il faut dire qu’entre réussites et retards, le tout dans un contexte de montée en cadence sans précédent, les raisons de parler du LEAP ne manquent pas.
Philippe Petitcolin, directeur général de Safran, a ainsi commencé sa présentation en annonçant que le LEAP avait atteint son objectif établi à « plus de 450 livraisons en 2017 ». 459 moteurs ont ainsi été remis à leurs propriétaires l’an passé. Après avoir livré 72 moteurs en 2016, CFM International (coentreprise à parité entre Safran Aircraft Engines et GE Aviation) a donc multiplié sa production par six en 2017. Le saut sera moins important cette année, mais le nombre de moteurs livrés doit encore doubler pour atteindre 1 100 unités. Et 1 800 en 2019.
Des retards durs à rattraper
Le motoriste semble donc poursuivre sa montée en cadence dans les temps. Pourtant il a rencontré plusieurs problèmes au cours de l’année, que ce soit du côté de GE ou de Safran. Le groupe américain a connu des soucis avec les disques et le revêtement de la turbine haute pression (HP), tandis que son homologue français a connu un problème de qualité chez un de ses forgerons, qui a impacté la production d’un lot de disques de turbine basse pression (LP).
Interrogé sur le sujet, Philippe Petitcolin a concédé qu’il n’avait pas encore réussi à résorber entièrement le retard pris sur le LEAP en 2017, et que celui-ci était toujours de l’ordre de 4 à 5 semaines. Il a ajouté qu’un plan avait été établi pour permettre de revenir à une situation nominale à la moitié de cette année, tout en précisant qu’il n’était pas à l’abri d’un nouveau problème ponctuel chez un fournisseur.
Les deux groupes peinent ainsi à rattraper leur retard alors que le rythme s’accélère. Pour le directeur général de Safran, c’est bien cette accélération qui est au coeur du problème : « il est facile de revenir à l’heure sur un programme en régime stabilisé, mais c’est bien plus difficile alors que la production doit doubler en 2018. »
Plus que Safran Aircraft Engines ou GE Aviation, ce sont leurs fournisseurs qui sont mis à rude épreuve par cette situation. Philippe Petitcolin explique en effet que les points durs se situent au niveau la chaîne d’approvisionnement, externe ou interne, et non de l’assemblage. Il détaille ainsi que les problèmes de montée en cadence connus par les forgerons sont résolus, mais qu’ils se répercutent désormais sur l’usinage qui doit rattraper le retard pris précédemment.
Le CFM56 est toujours bien présent
Comme un problème ne vient jamais seul, cette problématique de la montée en cadence du LEAP s’inscrit dans celle de la transition avec le CFM56. Safran Aircraft Engines a conservé une chaîne d’approvisionnement relativement similaire entre les deux moteurs. Cela lui permet de maintenir des volumes importants, sans rupture de charge. Mais cela la soumet aussi à de fortes tensions, notamment au vu du rythme de montée en cadence du LEAP, alors qu’il faut aussi continuer à produire les CFM56 en grand nombre.
En 2017, CFM International a tout juste entamé sa baisse de charge sur le moteur bientôt quarantenaire. Le motoriste a livré 1 444 exemplaires, contre 1 693 l’année précédente. Le mouvement devrait se poursuivre dans les prochaines années, jusqu’à l’arrêt du programme aux alentours 2020 (même s’il est possible d’envisager que CFM International garde une petite capacité de production pour les moteurs de rechange et les programmes militaires comme le P-8 Poseidon).
Pour l’instant, le CFM56 continue de se vendre. Il possède encore une réserve de 1 106 commandes, dont 474 ont été signées en 2017. Philippe Petitcolin estime ainsi que la production cumulée du CFM56 et du LEAP va connaître connaître une croissance de l’ordre de 7 à 10 % par an dans les prochaines années.
Cette transition impacte aussi la rentabilité de l’activité Propulsion, explique Bernard Delpit, directeur financier du groupe. En effet, tous les LEAP livrés actuellement le sont avec une marge négative pour CFM International, et donc ses actionnaires Safran Aircraft Engines et GE Aviation. C’est un paramètre tout à fait normal pour un programme qui débute, mais qui se ressent forcément dans les comptes. Il est aussi renforcé par le fait que, dans le même temps, le motoriste livre moins de CFM56 en première monte (programme déjà amorti, dont la marge est positive). Bernard Delpit estime ainsi que l’impact négatif sur le résultat opérationnel courant est de 342 millions d’euros.
Le succès commercial se poursuit
Du côté des commandes, le LEAP continue de séduire largement les compagnies aériennes et les loueurs, avec 2 870 nouvelles commandes enregistrées en 2017. Cela porte son total à environ 14 000 ventes. Philippe Petitcolin a également précisé que le LEAP-1A s’arrogeait désormais 59 % des parts de marché pour la motorisation de l’Airbus A320neo.
Le directeur général de Safran a d’ailleurs tenu à préciser qu’un accord à long terme (au moins une dizaine d’années) avait été trouvé avec Airbus pour que Safran conserve la fourniture des nacelles pour les LEAP-1A. Il a ainsi déclaré que la rentabilité de cette activité avait ainsi pu être largement préservée. A l’inverse, Airbus n’avait pas hésité à internaliser la production et l’intégration des nacelles pour les PW1100G-JM – l’autre motorisation de l’A320neo – au détriment de l’équipementier UTC Aerospace Systems (UTAS).
Philippe Petitcolin a enfin profité de l’occasion pour annoncer les temps d’utilisation des différentes versions du LEAP. Le LEAP-1A dépasse désormais les 530 000 heures de vol sur A320neo, tandis que le LEAP-B atteint les 80 000 heures sur Boeing 737 MAX. Les statistiques du LEAP-1C restent marginales, avec seulement deux C919 en essais.