Pandémie de covid-19, guerre en Ukraine, inflation… Depuis deux ans, divers obstacles se succèdent et n’épargnent pas plus le secteur aéronautique que les autres industries ou même la société. Cependant, après avoir fortement accusé le choc d’une crise sanitaire d’autant plus saisissante qu’elle a été soudaine et brutale, le secteur semble près de sortir du tunnel et les dirigeants des grandes sociétés qui le composent retrouvent une confiance en l’avenir, qui était encore fortement érodée il y a un an. C’est ce que montre une nouvelle étude réalisée par Accenture, publiée à la fin du mois d’octobre.
Au plus fort de la pandémie, les dirigeants de l’industrie aéronautique continuaient de croire en la résilience du secteur à long terme et les prévisions sur vingt ans, bien que révisées légèrement à la baisse, promettaient un retour des voyageurs donc du dynamisme et de la croissance à moyen terme. Malgré cela, la lourdeur de l’environnement économique et sanitaire immédiat avait sérieusement entamé leur optimisme. La réussite de la saison été 2022 a apporté une bouffée d’air bienvenue et qui semble vouloir se pérenniser. Quand le mot de 2020 et 2021 était « crise », celui de 2022 est « reprise ».
Désormais, l’industrie parle d’augmentation des cadences de livraison sur les programmes monocouloirs comme gros-porteurs, le transport aérien d’un retour à la rentabilité en 2023. Près d’un tiers des dirigeants sondés par Accenture s’attendent à une augmentation de leurs recettes dans les six prochains mois, 81% dans les douze prochains mois.
Patrice Barbier, directeur exécutif Aerospace & Defense chez Accenture, explique que « le contexte et la visibilité sont bons ». Dans le secteur de l’aviation commerciale, « les avionneurs ont des carnets de commandes plus que significatifs, avec plusieurs années de production garanties, et la crise n’a pas entraîné tant d’annulations. Par ailleurs, l’industrie doit se transformer pour répondre aux enjeux de transition énergétique et d’impact environnemental. Cela passe d’une part par, à court terme, adapter les avions à l’utilisation de carburant durable d’aviation (Sustainable Aviation Fuel). A moyen terme, le renouvellement de la flotte vers des aéronefs moins consommateurs est l’autre solution qui s’impose. Et il y a enfin la nécessité d’investir sur l’avenir, sur la nouvelle génération d’avions, d’abord régionaux, à horizon 2040-2050. A cela s’ajoute l’assurance d’un marché qui va doubler à l’horizon 2050. Toutes ces dimensions macroéconomiques font que l’industrie a montré à la fois de la résilience sur la crise passée et est rassurée par rapport à l’avenir. » L’inflation, danger du moment, présente un risque sur les coûts mais à court terme.
Image © Airbus
Le secteur de la défense également à de belles perspectives. Beaucoup moins touché que l’aviation commerciale durant la crise sanitaire, il bénéficie désormais d’une hausse d’activité. « Les tensions géopolitiques globales remettent des budgets dans l’armement et cela alimente l’industrie militaire et les nouveaux programmes. »
Des doutes se lèvent sur la chaîne d’approvisionnement
L’une des évolutions majeures mises en avant par l’enquête d’Accenture est le regain de confiance envers la chaîne d’approvisionnement. Les dirigeants de l’industrie aéronautiques sont en effet 88 %à être convaincus que leurs fournisseurs seront capables de tenir leurs engagements en termes de délais et de qualité d’ici un an, contre 64 % l’année dernière.
« La supply chain avait entamé un travail pour devenir plus résiliente, que la crise a accéléré. Après l’avoir traversée, les entreprises se sentent plus à même de répondre à de potentielles futures crises », explique Patrice Barbier. Bien entendu, toutes les inquiétudes ne sont pas levées : la place de la Chine dans la chaîne de valeur et sa politique zéro covid provoquent des fluctuations importantes dans l’économie, le risque d’une nouvelle pandémie n’est pas écarté et les tensions géopolitiques créent des inquiétudes autour de l’approvisionnement en matières premières. « Il y avait une rupture sur l’électronique et la pression de la Chine, on ajoute désormais l’effet Russie. C’est sur le tout début de la chaîne de valeur qu’il peut y avoir des inquiétudes. »
Le travail mené pour améliorer la fiabilité de la chaîne d’approvisionnement a notamment consisté pour les entreprises à gagner de la visibilité sur l’ensemble de leur chaîne et non pas leurs seuls sous-traitants directs. Ces derniers mois ont également été le cadre d’une consolidation, notamment en France autour de Mecachrome, Latécoère, Figeac Aéro… « Il y a deux aspects de la résilience : être capable de produire quoi qu’il arrive et être capable de tenir des crises d’un point de vue financier. Pour cela, il faut travailler sur du double sourcing, des transferts de production, le retour d’activités en Europe…, retravailler la supply chain, la surveiller en termes de risque, pour être capable d’identifier les opportunités et de réduire les dépendances par rapport à certains approvisionnements », décrit Patrice Barbier.
Mecachrome a été l’un des acteurs de la consolidation dans le secteur avec la prise de participation majoritaire dans Rossi Aero. Image © Mecachrome
Un besoin de réorganisation persistant
Cette réorganisation du secteur va se poursuivre. En effet, l’étude d’Accenture montre que 83 % des cadres interrogés estiment que leur entreprise est susceptible d’entreprendre un changement de modèle organisationnel ou opérationnel à grande échelle au cours des deux prochaines années. Le but est de continuer à améliorer leurs performances et de saisir de nouvelles opportunités – certaines entreprises ont déjà avancé dans ce sens, Accenture cite ainsi la restructuration de Rolls-Royce, devenu plus centralisé et plus agile.
Avec l’amplification de l’urgence à décarboner l’aviation et à digitaliser la production ces dernières années, les évolutions de la production (nouvelles typologies de métaux, de nouvelles méthodes, etc.) et les recherches sur de nouveaux modèles d’avions, les acteurs doivent être « en capacité d’investir, avec des investissements à venir aussi bien industriels que digitaux », explique Patrice Barbier. Par exemple, pour suivre les augmentations de cadence de production décidées par Airbus et Boeing, des investissements devront être réalisés pour réduire la non-qualité en s’appuyant entre autres sur le digital et l’automatisation. La consolidation peut jouer aussi un rôle, tout comme une évolution individuelle de son modèle.
Un autre aspect de ces transformations à venir est de pallier la pénurie de main d’oeuvre. La reprise concernant tous les secteurs, le marché du travail est très dynamique et il est parfois difficile de recruter des profils, notamment dans la chaîne de fournisseurs. « C’est aussi l’une des raisons qui poussent les dirigeants à investir dans la digitalisation, l’hyper automatisation et la formation. Ils doivent être capables de faire acquérir de nouvelles compétences à leur population et affecter leurs collaborateurs sur les tâches à haute valeur ajoutée. Cela amène des transformations et le besoin pour les dirigeants de lancer des plans pour s’adapter. »