Quatre après avoir présenté son concept Nova lors du salon du Bourget 2015, l’Onera continue d’avancer sur ce projet destiné à l’étude de configurations aérodynamiques innovantes pour les avions commerciaux de demain. De nouvelles étapes vont être franchies au cours des deux années à venir, principalement centrées autour des moteurs.
Si le concept Nova regroupait plusieurs sources d’amélioration de la performance – fuselage portant, winglets allongés à dièdre négatif – l’Onera a décidé de concentrer ses efforts sur la motorisation, qui a été identifiée comme la principale source de gains potentiels pour la réduction de consommation de carburant. Deux axes de travail ont été retenus : le positionnement des moteurs avec une configuration « semi-enterrée » pour l’ingestion de couche limite (BLI ou boundary layer ingestion) et l’amélioration du taux de dilution.
Maîtriser l’ingestion
Les équipes de l’Onera s’attèlent ainsi à déterminer la façon dont cette couche limite est ingérée par le moteur dans cette configuration. L’une des difficultés sera d’arriver à gérer les vitesses différentes d’ingestion auxquelles seront soumises les aubes de soufflantes. Celles-ci varient en effet pour chaque position des aubes au cours de leur rotation, ce qui crée des sollicitations instationnaires (instable dans le temps) sur ces mêmes aubes.
Selon Ludovic Wiart, chargé des nouvelles configurations d’avions : « L’objectif est en premier de s’assurer que le rendement du moteur et de la soufflante sont le moins dégradé possible par rapport à une configuration sans distorsion. Et en second, de s’assurer que d’un point de vue mécanique, notamment au niveau des sollicitations en fatigue, les aubes de soufflante vont supporter un nombre de cycles correspondant à celui des avions civils. »
Pour 2019, l’Onera prévoit un essai à Modane (Savoie) en demi-maquette – maquette qui ne reproduit qu’un seul côté de l’objet étudié, ce qui permet d’utiliser des modèles plus grands, donc d’obtenir des résultats plus précis et possiblement de limiter les distorsions dues à la différence du nombre de Reynolds entre la maquette et l’aéronef à l’échelle 1:1. Elle a pour cela conçu un simulateur de moteur à forte puissance qui équipera cette maquette. Il sera actionné par un système à air comprimé, capable de développer une puissance de plusieurs centaines de kW, afin de reproduire le fonctionnement d’un moteur réel. La demi-voilure approche les trois mètres d’envergure, tandis que le moteur affiche 30 cm de diamètre.
Lors de cet essai, le moteur sera monté sous voilure. « C’est une configuration plus classique, explique Ludovic Wiart. C’est une première étape pour valider ce simulateur, sur lequel nous sommes partis de zéro. Cela va impliquer un nouveau système de mesures pour vérifier que tout se passe bien sans ingestion de couche limite. Puis dans un futur plus ou moins lointain, autour de 2020 ou 2021, il y aura un essai avec ingestion de couche limite. »
Avec Nova, puis Sublime, l’Onera teste l’ingestion de couche limite dans toutes les configurations. © Onera
Sublime prend le relai
Après l’essai de cette année, la recherche autour de l’ingestion de couche limite va changer de cadre, comme le détaille Ludovic Wiart : « L’Onera est en avance en Europe sur cette question de la BLI. Pour garder cette avance, nous avons lancé un projet financé avec la DGAC. » Baptisé Sublime, il prend le relai du projet actuel, mené entièrement en interne avec un financement de l’Agence nationale de la recherche (ANR) – l’Onera étant alors labellisé Institut Carnot (entre 2007 et 2016).
Le projet Sublime doit ainsi étudier la BLI sous toutes ses formes – et non plus seulement la configuration Nova. L’objectif est de vérifier expérimentalement si la BLI peut générer des gains réels pour la consommation spécifique en carburant. Selon les projections actuelles de l’Onera, ces gains pourraient se chiffrer autour de 5 % par rapport aux configurations actuelles. De quoi commencer à susciter un intérêt réel chez les avionneurs pour leurs futurs appareils.
Si des essais ont déjà été faits à basse vitesse dans des souffleries de recherche par l’Onera, puis par une équipe américaine, les essais à venir en 2021 ou 2022 étudieront les bénéfices à vitesse transsonique. « Ce sera une première mondiale, affirme Ludovic Wiart. Personne ne l’a jamais fait car cela demande une très forte puissance pour le simulateur de moteur. C’est pour cela que nous avons développé le notre. »
Les équipes de Sublime devraient ensuite s’attacher à lever les difficultés précédemment évoquées. Cela nécessitera un travail sur l’aéroélasticité, ainsi que sur des phénomènes particuliers comme la marge au pompage (décrochage du flux d’air sur les aubes de soufflantes) qui pourrait survenir lors des phases de décollage dans une configuration tel que Nova.
Vers des applications industrielles
Les efforts vont donc continuer en interne, mais l’Office n’a pas vocation à aller jusqu’à l’industrialisation. Plusieurs constructeurs, dont Airbus, s’intéressent à ces travaux et commencent à plancher sur le sujet. Les équipes de chercheurs pourraient alors se porter en soutien des industriels pour faire émerger des applications opérationnelles pour les prochaines générations d’avions.
Une industrialisation, hypothétique pour l’instant, nécessitera encore un important travail pour trouver une configuration qui permettre de maximiser le taux d’ingestion par le moteur de la couche limite générée par le fuselage (qui se situe autour de 40 % avec Nova, l’objectif idéal étant de tendre vers les 100 %). Il faudra ensuite adapter cette nouvelle configuration à la réalité du transport aérien, avec des problématiques comme l’évolution en milieu aéroportuaire, l’accès aux moteurs, la facilitation de la maintenance, etc.