On a beau approcher les soixante ans, il n’est jamais trop tard pour se mettre au numérique. C’est en tout cas ce que fait le PT6 de Pratt & Whitney Canada. Le motoriste vient de dévoiler, à la convention américaine de la NBAA, une nouvelle version de son célèbre turbopropulseur conçu à la fin des années 1950. Baptisée PT6 E-Series, elle intègre pour la première fois un système de commande moteur électronique (EEC) ainsi qu’une automanette unique. Et elle a déjà trouvé une application avec le lancement du PC-12 NGX de Pilatus.
Développé en toute discrétion, le PT6E est déjà certifié dans sa variante PT6E-67XP, qui équipera le PC-12 NGX de Pilatus. Le moteur et l’avion, lui aussi homologué, entreront en service au deuxième trimestre 2020. Pratt & Whitney Canada entend ainsi couper l’herbe sous le pied de GE Aviation, dont le Catalyst – actuellement confronté à des retards – devait arriver l’an prochain sur le Cessna Denali. C’est aussi le cas pour le futur héritier du démonstrateur Tech TP de Safran Helicopter Engines qui vient de faire ses premiers tours au banc d’essais.
Régulation numérique
L’EEC ne constitue pas en soit un calculateur de régulation numérique à pleine autorité (FADEC), mais il représente tout de même une valeur ajoutée importante pour le PT6. Il va ainsi surveiller une centaine de paramètres et s’appuyer sur certaines « données clefs » pour réguler automatiquement la puissance du moteur et optimiser son fonctionnement. Pratt & Whitney Canada annonce un impact positif sur le rendement du moteur, ainsi que sur les coûts de maintenance. Cette utilisation des données va d’ailleurs de pair avec le lancement du nouveau programme d’entretien Eagle, qui proposera des services de surveillance et de diagnostic.
Le pas et le régime de l’hélice seront aussi contrôlés par un système électronique. Cela permet l’intégration d’une automanette (manette des gaz automatisée) unique pour régir l’ensemble de ces systèmes, qui réduira sensiblement la charge de travail du pilote. Toute la séquence de démarrage est aussi automatisée, avec un seul bouton à presser.
Si le PT6E-67XP affiche la même puissance mécanique de 1 200 chevaux sur arbre (shp) que le PT6A-67P, Pratt & Whitney Canada annonce pourtant une puissance accrue de 10% d’un moteur à l’autre. Pour arriver à cette performance supplémentaire, le motoriste a intégré de nouvelles aubes monocristallines pour le compresseur et la turbine, ainsi qu’un refroidissement optimisé de la turbine, qui permettent une augmentation de la température de combustion. Le PT6E-67XP dispose d’un diamètre de 48,2 cm, légèrement supérieur à celui de tous les autres modèles de PT6 (46,6 cm), pour un poids sec de 270 kg, ce qui en fait le moteur plus lourd de la famille.
Pratt & Whitney Canada estime ainsi que le le PC-12 NGX bénéficiera d’un taux de montée et d’une vitesse accrus par rapport au PC-12 NG. De son côté, Pilatus annonce seulement une vitesse plus élevée, qui passe de 285 KTAS (528 km/h) à 290 KTAS (537 km/h), pour un taux de montée inchangé.
Le Tech TP complet est désormais au banc. © Safran – R. Bertrand
GE Aviation pris de court
Ce passage au numérique apparaît donc clairement comme une réponse au Catalyst, GE Aviation ayant largement fait le pari de l’innovation pour tenter de contester la position quasi monopolistique du PT6 qui dure depuis des décennies. L’équipementier américain a en effet investi 400 millions de dollars depuis 2015, utilisé 98 brevets, opté pour une conception numérique et largement intégré la fabrication additive pour son moteur. Le Catalyst devait notamment être le premier turbopropulseur de moins de 2 000 shp à disposer d’une régulation numérique. Il sera tout de même le premier à être doté d’un FADEC complet et non seulement un EEC.
GE Aviation n’avait pas besoin de ça alors qu’il vient d’annoncer des retards dans le développement du Catalyst. Malgré l’assemblage de cinq moteurs et la réalisation de plus de 1 600 heures d’essais au banc, le motoriste est confronté à un processus de certification plus long que prévu. Il n’a donc toujours pas pu livrer de premier moteur à Cessna, qui a dû se résoudre à reporter le premier vol de son Denali à 2020. Cela repoussera probablement la mise en service de l’avion à 2021. En attendant, le Catalyst pourrait faire son premier vol sur un banc d’essais volant.
Le Tech TP complet est au banc
Pratt & Whitney Canada maintient aussi à distance Safran Helicopter Engines, qui a fait part au printemps dernier de ses velléités de développer un turbopropulseur opérationnel à partir de son démonstrateur Tech TP, lui-même dérivé de sa turbine Ardiden 3 dans le cadre d’un projet Clean Sky 2. S’il est officiellement lancé, ce moteur demandera tout de même encore quelques années avant de voir le jour.
Le Tech TP vient ainsi tout juste de commencer sa phase de démonstration. Le premier allumage d’un moteur complet – avec une nacelle fournie par de Safran Nacelles et une nouvelle hélice à sept pales de MT-Propeller – a eu lieu début octobre à Tarnos (Nouvelle-Aquitaine). L’objectif du programme est d’atteindre un niveau de maturité de l’ordre d’un TRL5+/6 d’ici fin 2021, avec une réduction de la consommation spécifique de plus de 10%. Il faudra au moins ça pour espérer déloger le PT6, numérique ou non, de son piédestal.