Quelque peu tombé dans l’oubli médiatique ces dernières années, notamment au profit de la montée en puissance du LEAP, le programme de recherche Open Rotor fait son retour. Safran Aircraft Engines a présenté officiellement son démonstrateur le 3 octobre, à Istres. Celui-ci est actuellement en phase de tests sur le nouveau banc d’essais moteur en extérieur, inauguré cette année par le motoriste français sur la base aérienne 125. Doté d’une architecture disruptive, avec notamment des aubes de soufflante non carénées (voir encadré), il doit permettre de développer un certain nombre de briques technologiques innovantes, prouver la faisabilité d’une telle configuration, et convaincre les avionneurs de son intérêt pour leur futurs programmes d’avion moyen-courrier.
Lancé en 2008 dans le cadre du programme de recherche européen Clean Sky, le projet Open Rotor passe donc pour la première fois à l’air libre après plusieurs phases de test en soufflerie. Les premiers essais ont commencé dans le plus grand secret fin mai et devraient se poursuivre jusqu’à la fin de l’année. Pour l’instant, les ingénieurs et techniciens de Safran Aircraft Engines s’attachent à défricher l’enveloppe du moteur. Le régime « ralenti vol » a été atteint fin juillet, le « max climb » fin août et le démonstrateur tourne actuellement à 65 % de sa puissance maximale au décollage. Un peu plus de cinquante démarrages ont ainsi été réalisé.
Une fois le « max take-off » atteint, les équipes se concentreront davantage sur l’exploration des limites de fonctionnement du moteur, les problématiques de transmission de puissance et l’intégration de différentes briques technologiques. Les rotations, d’abord très courtes, s’allongent peu à peu et, d’ici fin 2018, 50 à 100 heures d’essais auront été réalisées. Il sera ensuite temps de compiler l’ensemble des données enregistrées pendant les tests (1 200 paramètres différents) et les corréler aux modèles précédemment établis lors de simulations et d’essais en soufflerie.
Véritable rupture technologique
Les projections établies jusqu’ici font état d’un important potentiel en terme de réduction de carburant. Cette configuration, avec une soufflante non-carénée dotée d’un diamètre plus important, permet d’augmenter sensiblement le taux de dilution du moteur. Il pourrait ainsi atteindre 30:1 contre 6:1 pour le CFM56 et 11:1 pour le LEAP. L’absence de carter réduit également le poids et la traînée induite. Au final, un Open Rotor pourrait consommer 30 % de carburant en moins qu’un CFM56 et 15 % de moins qu’un LEAP. Il apparaît aujourd’hui comme la seule technologie capable de franchir un palier aussi conséquent.
Tout n’est pas parfait pour autant. Un des principaux défauts de ce concept est son empreinte sonore. Safran Aircraft Engines a donc travaillé avec l’Onera sur ce sujet à partir de 2013. Le banc d’essais en soufflerie Hera a permis de tester différentes configurations d’aubes, et les deux partenaires ont fini par arriver à une performance acoustique équivalente à celle d’un LEAP. L’Open Rotor respecte donc les limites actuelles sur le bruit posées par le Chapitre 14 de l’Annexe 16 du code de l’OACI. Et le motoriste assure disposer encore d’une marge de réduction.
Comme tout projet de recherche ambitieux, l’Open Rotor a mobilisé un investissement conséquent à hauteur de 200 MEUR. Sur ce total, 65 MEUR ont été apportés par la Commission européenne sur huit ans, dans le cadre du programme SAGE2 (Sustainable and green engines 2) de Clean Sky. Le reste est financé par les différents partenaires du projet mené par Safran Aircraft Engines, à savoir Airbus, Avio Aero, GKN Aerospace et Leonardo.
Quel avenir pour l’Open Rotor
L’Open Rotor est un développement de longue haleine et la suite du programme présente des inconnues. L’objectif est de préparer un certain nombre de briques technologiques innovantes sur étagère, prêtes à être intégrées sur un futur programme d’avion à l’horizon 2030, voire un peu au-delà. « Pour être prêt en 2030, il faut partir maintenant », explique Philippe Petitcolin, directeur général du groupe Safran. Tout l’enjeu sera alors de convaincre un avionneur de s’engager avec un moteur, dont l’architecture est en rupture avec la totalité des programmes actuellement en service.
Safran Aircraft Engines doit notamment faire face au renoncement d’Airbus à intégrer un Open Rotor sur un de ses avions – un A340 était d’abord envisagé, puis un A320 – dans les prochaines années. Airbus dernier est pourtant partenaire du programme depuis ses débuts. Si le motoriste assure avoir été averti par l’avionneur suffisamment en amont, il n’en reste pas moins que l’Open Rotor devra se passer d’essais en vol pour encore un long moment. Le démonstrateur actuel doit donc emmener le concept jusqu’à la limite du TRL6, niveau de maturité qui est normalement atteint avec les premiers essais sur avion.
Si un avionneur rejoint finalement Safran Aircraft Engines, il faudra également convaincre les autorités de certification que des aubes de deux mètres chacune (le double de celles du LEAP), non carénées, sont compatibles avec les exigences de sécurité. Un groupe de travail a ainsi été créé avec l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) et des discussions ont lieu avec l’Administration fédérale américaine de l’aviation (FAA). Des essais d’impacts aviaires et de criques sur les aubes en composites ont également été réalisés. Ils ont pour l’instant mis en avant une non-propagation du dommage, ce qui limite le risque de rupture d’une aube.
La maintenance de ces moteurs, qui seront probablement disposés en hauteur à l’arrière du fuselage, devra être prise en compte (même si cette question n’apparaît pas encore comme déterminante pour Safran aujourd’hui). La vitesse, un peu plus faible avec un Open Rotor qu’avec un moteur classique (réduction d’environ Mach 0,05) peut également être un facteur. Enfin, il faudra convaincre les passagers de monter à bord, alors qu’une grande partie d’entre eux tombe des nues lorsqu’elle découvre l’existence des turbopropulseurs.
Le moteur du futur reste à définir
Safran reconnaît volontiers que les futurs choix des avionneurs en terme de moteurs présentent de nombreuses incertitudes. Comme le dit Olivier Andriès, président de Safran Aircraft Engines : « Il est trop tôt pour dire ce que sera le moteur de demain. » De même, Stéphane Cueille, directeur Recherche et technologie de Safran, estime que tous les champs sont ouverts. Safran Aircraft Engines entend donc bien ne pas mettre tout ses oeufs dans le même panier et planche sur plusieurs axes en parallèle. Et il est fortement probable que les futurs moteurs combinent des briques technologiques développées dans des projets de recherche différents.
Le motoriste travaille par exemple sur une architecture plus classique avec l’Ultra high bypass ration (UHBR), qui optimise le taux de dilution (de l’ordre de 15:1), le taux de compression, la température de combustion ou encore l’aérodynamique au sein de la veine d’air par rapport à un LEAP actuel. Ce concept pourrait faire l’objet d’une intégration sur un Airbus à l’horizon 2020 dans le cadre de Clean Sky 2, puis déboucher sur un moteur opérationnel dès 2025. Plus simple à intégrer, il présente en revanche des gains de consommation de carburant limités entre 5 et 10 %. D’autres pistes portent sur l’avion plus électrique, et à plus long terme sur la propulsion hybride. La propulsion distribuée est également à l’étude, mais son application industrielle est difficilement envisageable avant 2040.
Les contours des futurs moteurs seront donc largement déterminés par le calendrier des avionneurs pour lancer un nouveau programme, et donc par un ensemble de facteurs indépendants : évolution du trafic aérien, volonté et capacité des transporteurs à renouveler leur flotte, prix du pétrole, normes environnementales, etc.
Ce banc moteur de 18 m de haut pourra accueillir des moteurs et ensembles propulsifs classiques. © Safran/Eric Drouin