Phénomène de mode il y a quelques années, la fabrication additive se structure peu à peu pour aller vers des solutions industrielles : prototypage, conception de pièces complexes, confection de pièces de rechange, mais aussi production en série. Si les avantages en termes de poids et de design de l’impression 3D ne sont plus à prouver, cette dernière étape reste compliquée à franchir pour l’aéronautique pour des raisons de modèles économique et industriel, et surtout de certification. L’entreprise luxembourgeoise Saturne Technology fait partie des acteurs qui tentent de franchir ce palier.
Prise de risques
Décider d’un plan de 13 MEUR d’investissement sur cinq ans, lorsque l’on réalise 4 MEUR de chiffre d’affaires annuel (estimation pour 2017), est indubitablement un risque. Mais pour Walter Grzymlas, directeur et fondateur de Saturne Technology, le jeu en vaut tout aussi indubitablement la chandelle. Présent au salon du Bourget, il expose ses ambitions pour la fabrication additive dans l’aéronautique.
« Lors de la fondation de Saturne Technology en 2000, nous nous sommes concentrés sur les applications laser comme le soudage, le perçage, le rechargement ou la découpe. Après une étude de marché en 2010, nous avons acquis une première machine ProX 300 de 3D Systems en 2012 ». Une deuxième machine identique arrive en 2014, pour passer à de la fabrication en série pour les industries médicale, nucléaire, de l’énergie ou des supraconducteurs.
Avec son plan de 13 MEUR, Saturne Technology va recevoir une machine par an pendant cinq ans. Et elle devrait encore investir pour passer à dix imprimantes dans les années suivantes. Elle a aussi acheté dès cette année une nouvelle imprimante SLM 500, capable de faire des pièces deux fois plus grandes que les précédentes avec quatre lasers simultanés. La petite entreprise de quinze personnes peut dès à présent proposer une offre compétitive face aux autres procédés industriels. Cet agrandissement du parc de machines s’accompagnera d’une installation dans de nouveaux locaux de 3 500 m² fin 2018, début 2019.
Visées aéronautiques
Reste désormais à pouvoir faire des pièces en série pour l’aéronautique. Malgré une reconnaissance de la part de grands groupes comme Safran (qui l’a distingué pour sa performance en 2015) et Thales, pour lesquels Saturne Technology est sous-traitant de Rang 1, ce n’est pas encore le cas. Walter Grzymlas explique cette situation du fait des exigences de certification et du principe de précaution propres au secteur. Il met d’ailleurs en garde sur les sociétés qui annoncent fournir des éléments critiques pour le vol en impression 3D : « Pour l’instant, seuls les constructeurs produisent des pièces bonnes de vol. Il n’y a pas encore de sous-traitants ».
Pour arriver à ce stade, Saturne Technology travaille sur la maîtrise de l’ensemble du processus : choix des poudres, des métaux, de la technologie et du design de la pièce. Elle a ainsi travaillé avec des atomiseurs sur les poudres. De même, si ses trois machines utilisent un procédé de fusion sélective par laser (SLM), l’une est pour une base nickel, l’autre pour de l’aluminium et la dernière pour du titane.
Cela lui a sans doute ouvert plus facilement les portes des grands donneurs d’ordres pour de premières expérimentations, comme l’explique Walter Grzymlas : « Il a été facile d’apporter cette technologie à nos clients existants comme Safran, GE ou Airbus et nous avons pu commencer à valider des pièces ». Sa société a ainsi réalisé des éléments pour des démonstrateurs de moteurs avec Safran, Rolls-Royce, GE et espère faire de même avec Pratt & Whitney. Ces pièces en impression 3D ont ainsi tourné au banc sur M88, M53, SaM146, Leap, Silvercrest ou encore TP400.
Objectif en série
Fort de cette expérience, le directeur luxembourgeois espère pouvoir intégrer ses premières pièces en série sur des moteurs Safran fin 2018, début 2019. Il se positionne ainsi sur la fourniture de trois types d’éléments différents, à commencer par des injecteurs haute et basse pression. Cela concerne les pièces de rechange, mais surtout les pièces neuves. Walter Grzymlas estime ainsi que la fabrication additive va par exemple devenir intéressante à la faveur des baisses de cadence à venir du CFM56.
D’autres projets sont également en cours. Saturne Technology commence à regarder des pièces de structure avec une filiale d’Airbus. Elle s’est aussi positionnée sur quatre projets de recherche auprès de l’Agence spatiale européenne (ESA), pour lesquels une réponse est espérée cette année. Enfin, elle a entamé des discussions à long terme avec l’Etat canadien et la province du Québec pour installer un site de production à Mirabel pour fournir les acteurs locaux (Bell, Pratt & Whitney Canada, Bombardier, etc.). Walter Grzymlas se donne deux ans pour « ficeler » le projet.
L’enjeu semble en tout cas à la hauteur du risque pris. Selon Walter Grzymlas, l’activité laser permet de structurer l’entreprise, tandis que la fabrication additive offre le plus important potentiel de croissance. Tous secteurs d’activité confondus, elle a généré une hausse de 30 à 35 % des revenus. Elle représente désormais 40 % du chiffre d’affaires total, l’objectif étant de passer à 50 % dans les cinq prochaines années. L’aéronautique est le principal secteur d’activité de l’entreprise et compte pour 60 % de ce chiffre d’affaires total. En revanche, elle est encore en retard sur l’activité de fabrication additive où elle ne crée que 30 % de la valeur. Là aussi, l’objectif est de passer à 50 % dans les 5 ans.