Depuis le 1er novembre et l’ouverture de la COP26, les enjeux du réchauffement climatique sont revenus sur le devant de la scène. Cette année, le sommet a notamment la tâche de mesurer les progrès accomplis ou non depuis les accords de Paris de 2015. Retardé d’un an par la pandémie, il s’est ouvert dans un contexte de relance économique au niveau mondial, dont la trajectoire a parfois (comme en Europe) été fortement infléchie par les impératifs de transition environnementale. Dans le secteur des transports, et plus précisément dans l’aéronautique, ces derniers mois ont vu une effervescence d’idées, de développements de projets et la priorisation des moyens de décarboner l’aviation.
La prise de conscience n’est pas récente et le secteur aéronautique avait pris le problème à bras le corps bien avant de subir le déferlement de la crise. Mais, persuadé de polluer peu (le transport aérien représentait en 2019 environ 3% des émissions de CO2 mondiales), il n’allait pas aussi vite qu’il l’aurait pu. La crise, l’engagement plus résolu des gouvernements en faveur d’une relance et une croissance vertes, ainsi que les perspectives de croissance à long terme misant toujours sur un nouveau doublement du trafic mondial d’ici 2050, ont donné un coup d’accélérateur à la transition écologique.
Accenture voit là une vraie problématique qui s’est imposée au secteur et qui implique souvent un besoin d’accompagnement des acteurs. La société de conseil et de technologies rappelle que les pistes et les solutions font consensus : recours aux carburants durables d’aviation, création d’un avion vert et optimisation du trafic aérien. « Si la cible est connue, il y a toute une chaîne de valeur qu’il faut transformer pour qu’elle soit durable », confie Marc Gellé, son directeur général Aéronautique et Défense pour l’Europe. Dans une étude menée sur le secteur Aéronautique et Défense et publiée cet été, la société a mis en avant les trois leviers qui doivent permettre de réussir cette transition.
Accélération : « le secteur n’est pas le plus avancé sur la problématique du durable »
« La bonne nouvelle, c’est que les dirigeants sont conscients des enjeux », souligne Marc Gellé. En effet, l’étude montre que 63% d’entre eux estiment qu’un tiers de leur chiffre d’affaires sera réalisé grâce à des produits ou services durables dans les cinq prochaines années, alors qu’ils représentent encore moins de 5% des recettes aujourd’hui. « C’est peut-être un peu surestimé mais il y a une vraie accélération. » D’autant qu’avec la crise, plus de 35%des investissements européens de soutien des gouvernements ont été fléchés vers la transformation durable.
Au niveau de l’engineering, beaucoup peut être fait dès aujourd’hui. Tout allègement d’un équipement a un impact positif sur les émissions. Accenture cite l’exemple de panneaux de séparation plus résistants et plus légers sur l’Airbus A320, dont la généralisation permettrait d’alléger la cabine de 500kg et entraînerait des réductions d’émissions de CO2 allant jusqu’à 166 tonnes par avion et par an. « Comme le montre Airbus, nous ne sommes pas obligés d’attendre le futur avion vert pour réduire les émissions de CO2», résume Marc Gellé.
Les producteurs de sièges d’avions font partie de ceux qui travaillent beaucoup à l’allégement de leurs produits et communiquent à ce sujet, comme l’ont régulièrement montré Expliseat ou Recaro. Mais ces allègements sont recherchés à tous les niveaux de l’avion. Ici, Airbus présente sa cloison de séparation bionique. Image © Airbus
D’autres initiatives peuvent être prises au niveau des usines de fabrication, pour réduire leur empreinte carbone via la mise en place d’outils connectés et intelligents ou comme le fait Boeing en ayant recours à un emploi accru d’énergies vertes.
Accenture travaille aussi beaucoup sur la transformation digitale de l’ensemble de la chaine de valeurs, son coeur d’activité, depuis la conception, la production, la logistique jusqu’à l’après-vente. La société de conseil et de technologies insiste sur l’intérêt des jumeaux numériques qui se développent plus facilement maintenant que beaucoup de composants sont équipés de capteurs et qui « permettent d’économiser du temps, des coûts, mais aussi de l’énergie et de rendre le processus très durable » en simulant en temps réel les évolutions d’un produit (ou d’une usine) sans avoir à faire de prototype physique. Dans cette optique, le « cloud » dans lequel gravitent toutes les données doit lui aussi devenir plus vert.
Disposer des maquettes numériques de ses usines permet de gérer plus efficacement leur fonctionnement, leurs évolutions, leur consommation énergétique et la maintenance des outils. Image © Safran
S’appuyer sur tout l’écosystème existant
« Il est intéressant de voir qu’il y a une prise de conscience des cadres dirigeants de sociétés aéronautiques et de défense qu’ils n’arriveront pas à réaliser leur transition tous seuls », constate Marc Gellé. En effet, l’étude d’Accenture a révélé que 98% d’entre eux pensent qu’il leur faudra s’appuyer sur des partenariats pour une transition environnementale efficace d’ici deux ans. Cela nécessite une plus grande coopération au sein de l’écosystème industriel et technologique du secteur en privilégiant l’innovation que chacun peut apporter.
L’un des enjeux sera de s’assurer que les matières sont durables, dans leur extraction, leur transport, leur production, « pour ne pas partir avec une dette carbone trop forte avant même d’avoir transformé la matière ». La chaîne logistique peut également être rendue plus efficace par une meilleure intégration des fournisseurs de tout rang, ce qui peut à la fois la fluidifier et éviter le gaspillage. La troisième problématique majeure touche au recyclage. L’arrivée d’appareils énergiquement plus efficaces comme les A320/A321neo ne vont faire qu’accélérer le renouvellement de la flotte mondiale et donc les besoins en matière de recyclage. 40% de la flotte actuelle arrivera en fin de vie d’ici les vingt prochaines années, estime Marc Gellé.
L’activité historique de Tarmac Aerosave est le démantèlement et le recyclage d’avion. La filiale d’Airbus, Safran et Suez Environnement est aujourd’hui capable de recycler et valoriser jusqu’à 90% de la masse d’un appareil. Image © Rémy Michelin pour Tarmac Aerosave
Un immense déficit de communication à combler
L’étude conduite par Accenture a mis en avant que près de la moitié « des cadres dirigeants du secteur de l’aéronautique et de la défense pensent qu’il leur faudra mesurer, encourager et communiquer sur les performances de leur entreprise en matière de durabilité d’ici trois ans ». Aujourd’hui, ils ne sont que 22% à le faire.
Selon Marc Gellé, ce chiffre étonnant « montre que l’industrie n’est pas encore suffisamment avancée sur cette problématique ». Confortée par ses 3% des émissions de CO2 mondiales et des carnets de commandes remplis pour dix ans, cette industrie considérait avoir d’autres priorités que de communiquer sur ses efforts autour de la durabilité. La vague d’«aviation-bashing » autour de sa pollution ces derniers mois a quelque peu bousculé cette vision. Aujourd’hui, cette communication se réveille, surfant sur l’accélération de la vague du carburant durable. Car « si 65% à 70% de la solution pour arriver à la neutralité carbone d’ici 2050 passe, comme les experts le pensent, par l’utilisation de carburant propre, les expérimentations sont déjà en phase de déploiement et offrent un sujet très positif sur lequel d’ores et déjà communiquer », explique-t-il.
Comme la crise a mis en exergue la nécessité de décarboner l’ensemble du secteur aéronautique et défense, elle a également eu un effet accélérateur sur sa transition numérique, un processus engagé plus tôt et déjà bien avancé. Aujourd’hui, les deux doivent aller de pair et Accenture en a fait ses deux problématiques prioritaires. D’autant que selon elle, « les entreprises qui allient transformation numérique et transformation écologique ont 2,5 fois plus de chances d’être parmi les leaders de demain. »
Pour consulter l’étude d’Accenture, veuillez cliquer ici.
Les carburants durables d’aviation sont une piste privilégiée pour la décarbonation de l’aviation. Les initiatives en faveur de leur industrialisation à grande échelle se multiplient, comme ce vol réalisé par Air France entre Paris et Nice en octobre avec un Airbus A320 dont les moteurs étaient alimentés avec 30% de SAF produit en France par TotalEnergies. Image © Aéroport Nice Côte d’Azur