L’impressionnante montée en cadence du LEAP n’implique pas seulement les deux partenaires de CFM International – Safran Aircraft Engines et GE Aviation – mais aussi leurs chaînes de sous-traitance respectives. Celles-ci doivent donc se dimensionner pour passer d’une production de 77 moteurs en 2016 à plus de 2 300 en 2020. C’est le cas du groupe suédois SKF, qui vient d’inaugurer une nouvelle ligne de production automatisée pour le LEAP sur son site SKF Aeroengine France de Valenciennes (Hauts-de-France), le 21 janvier.
Baptisée Channel 9 LEAP, cette chaîne est dédiée à la fabrication de roulements pour les paliers 1 et 5 de l’arbre principal du LEAP, respectivement au niveau de la soufflante et de la turbine. En fonction des versions du moteur – LEAP-1A/-1C et 1B – deux modèles différents sont produits pour chaque roulement. Ces pièces sont destinées à rejoindre ensuite l’usine de Safran Aircraft Engines, à Villaroche (Ile-de-France) – les pièces pour GE étant directement produites par SKF à Falconer et Charleston aux Etats-Unis.
Phase de transition
Si l’inauguration officielle a attendu la nouvelle année, la Channel 9 LEAP a démarré son activité en septembre 2018, explique Gilles Ofcard, directeur du site de Valenciennes. Elle monte depuis en puissance, en récupérant progressivement l’activité qui était jusque-là assurée sur les « chaînes historiques » du site.
Cette transition devrait se poursuivre jusqu’à mi-2019, où la chaîne doit atteindre une capacité de 2 300 pièces usinées par an. Celle-ci pourra encore être optimisée par la suite jusqu’à 2 500 pièces, en fonction de l’évolution des cadences du LEAP. SKF répond ainsi à l’objectif de forte industrialisation de ces processus, condition sine qua non pour l’obtention d’un contrat de fournisseur sur le LEAP (toujours doublé chez un autre sous-traitant selon le principe de la double source).
Pour illustrer cette montée en puissance, Gilles Ofcard rappelle que son usine avait commencé par produire 20 roulements pour le LEAP en 2015 pour atteindre les 1 600 unités en 2018. Cette nouvelle chaîne doit aussi permettre de libérer de la capacité sur les autres lignes pour la production d’autres pièces.
La ligne Channel 9 LEAP va produire des roulements pour les paliers 1 et 5 du LEAP. © L. Barnier / Le Journal de l’Aviation – tous droits réservés
Nouveaux équipements et nouveaux métiers
Cette nouvelle ligne s’articule autour d’un robot d’une vingtaine de mètres de long à même d’assurer les transitions entre les différentes étapes du processus de production : le tournage à haute puissance, le fraisage, le perçage, la rectification et le lavage.
L’ensemble des opérations sera contrôlé par un système unique, qui assure aussi le contrôle et la traçabilité des pièces. Il sera capable d’opérer de façon autonome, sans intervention humaine pendant plusieurs heures. La Channel 9 LEAP entend ainsi s’inscrire dans la démarche usine 4.0, une première sur le site SKF Aeroengine France.
Cette transformation de l’outil de travail s’est accompagnée d’une mutation des métiers. Neuf opérateurs, choisis sur la base du volontariat, ont ainsi été formés pendant six mois pour devenir conducteurs de ligne autonome. Désormais surnommés « LEAPers », ils ont été familiarisés à leurs nouvelles tâches sur des lignes virtuelles, puis chez les constructeurs des machines et enfin par une période de compagnonnage avec des salariés plus expérimentés. Ils ont reçu un Certificat de qualification paritaire de la métallurgie à l’issue de ce processus, validé par l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM).
SKF Aeroengine France en a aussi profité pour introduire une nouvelle organisation sur cette chaîne, avec plus d’autonomie pour les LEAPers, en lieu et place du modèle hiérarchique traditionnel.
Investissements continus
Pour SKF, il s’agit en tout d’un investissement de cinq millions d’euros. Outre les gains de productivité, désormais indispensables pour toute la chaîne de sous-traitance aéronautique, ce projet pourrait aussi avoir valeur d’exemple dans les prochaines années. Ce type d’installation a ainsi vocation à se développer au sein de SKF, qui en a déjà implanté à Falconer et Hanover aux Etats-Unis et qui devrait bientôt faire de même à Schweinfurt.
La création de cette ligne s’inscrit dans la continuité du cycle d’investissements lancé en en 2013 chez SKF Aeroengine France, avec l’Aerospace Transformation Program (ATP) qui a débouché sur une spécialisation des sites aéronautiques de SKF. Avec 11 millions d’euros investis, Valenciennes est devenu centre d’excellence pour le traitement thermique et la fabrication de rouleaux en 2016. A l’inverse, la production des cages est progressivement transférée chez SKF Avio, à Villar Perosa en Italie. Le site de Stonehouse, au Royaume-Uni, a aussi été impliqué dans cette réorganisation.
Ce processus a été complété en 2017 par la création d’un centre d’essais pour les roulements aéronautiques, et la mise en place d’un bureau d’études. Et le mouvement va se poursuivre avec la décision en décembre dernier d’un nouvel investissement – toujours dans le cadre de l’ATP – pour accroître les capacités de traitement thermique.
Gilles Ofcard (cravate bleue) inaugure la nouvelle ligne, entouré des édiles locaux.© SKF
Indicateurs en hausse
Preuve de ce dynamisme actuel, SKF Aeroengine France affiche des chiffres en forte croissance sur les dernières années. Le chiffre d’affaires a bondi de 25 % pour atteindre 100 millions d’euros l’an dernier. Ce niveau de revenus devrait se stabiliser en 2019, selon Gilles Ofcard. Aucune information n’a en revanche été communiquée sur la rentabilité de l’activité.
Le niveau de production annoncé n’a lui pas évolué depuis 2016 avec 160 000 roulements par an – dont 65 % sont destinés à l’export – ce qui suggère la fabrication de pièces à plus forte valeur ajoutée. Outre les activités déjà mentionnées, le site produit des paliers pour moteurs d’avion et d’hélicoptère, roulements de boîtes de transmission et d’accessoires, etc., soit plus de 1 000 références sur un catalogue qui en compte près de 3 000.
Cette croissance a aussi des conséquences sur l’emploi avec l’embauche de 70 intérimaires depuis début 2017. Le site de Valenciennes compte ainsi 650 salariés, dont 520 CDI, une trentaine d’apprentis et une centaine d’intérimaires. Certains de ces emplois temporaires pourraient être pérennisés à l’avenir, mais l’objectif actuel de SKF d’améliorer sa productivité, Gilles Ofcard vise davantage une stabilisation du nombre de postes plutôt qu’une poursuite des embauches massives.