Sopra Steria ne fait pas dans la locution latine mais presque. Le groupe spécialisé dans la transformation numérique développe ainsi une solution baptisée EVAA, qui pourra être utilisée dans l’élaboration et l’expérimentation de nouveaux concepts ATM (gestion du trafic aérien) tels que ceux du programme européen Sesar. Derrière cet acronyme se cache l’Environnement virtuel auto-adaptatif, c’est-à-dire un générateur de trafic autonome basé sur un système multi-agent adaptatif (Amas).
Didier Bosque, directeur de l’Innovation de Sopra Steria, résume plus simplement le concept d’EVAA : « il s’agit d’introduire de l’intelligence artificielle dans la génération de trafic pour faire de la simulation massive et créer ainsi un véritable environnement. La complexité est de rendre cet environnement réaliste mais aussi conforme à ce que l’on veut faire comme simulation. »
De telles créations sont déjà possibles, mais « cela prend énormément de temps », continue Didier Bosque. Il explique que « pour générer ce trafic aujourd’hui, il faut connaître les performances des avions simulés et donc avoir accès aux données propriétaires ou mutualisées ». Il faut également tenir compte d’autres facteurs, multiples, qui influencent le comportement de l’avion : instructions du contrôleur, réaction du pilote, météorologie, etc. Il faut enfin bâtir un scénario et introduire un certain nombre d’interventions humaines dans son déroulé pour rendre l’environnement réaliste.
Un système multi agent…
Sopra Steria s’est rapproché de l’Institut de recherche en informatique de Toulouse (Irit) pour développer un concept original basé sur l’utilisation d’Amas. « Ce système apprend le comportement des avions en observant des trajectoires réelles à partir des données ADS-B. Après une phase de machine learning, il est capable de générer un trafic de façon autonome en fonction de ce qu’il a appris. »
Pour arriver à ce résultat, EVAA s’appuie sur des agents. Un agent est une « entité active et autonome qui a un objectif individuel et interagit dans un environnement commun ». Dans le cas d’EVAA, on trouve différents types d’agents : un avion , qui va jouer une trajectoire apprise en interrogeant le contexte pour décider de son prochain point de passage, une situation d’intérêt, qui correspond à un point d’une trajectoire jugé pertinent (changement de cap, d’altitude, de vitesse, etc.), une situation agrégée, qui regroupe des situations d’intérêt ayant une interaction entre elles, un contexte, qui représente un ensemble de conditions dans lesquelles il faut faire une action.
Dans un système multi-agent comme EVAA, ces agents sont interdépendants. Ils interagissent et communiquent entre eux sans pour autant partager le même objectif. Plutôt que de définir des algorithmes complexes pour gérer l’ensemble de l’environnement, il s’agira donc de créer des algorithmes simples pour chaque agent et d’établir des règles de coopération. C’est l’interaction de ces agents qui fera émerger le trafic. Le système gérera alors de façon autonome les séparations entre les aéronefs, les conflits, les changements de comportement, etc.
… et auto-adaptatif
« Le système est auto-adaptatif, explique ainsi Didier Bosque. Si nous changeons par exemple le sens du vent dans la simulation, les avions vont réagir en conséquence sans qu’il y ait besoin de scénariser le comportement de chaque avion. Il en sera de même si un contrôleur donne un ordre. » Le réalisme pourra ensuite être augmenté via l’ajout des données supplémentaires : compagnie, motorisation, etc.
Didier Bosque insiste sur l’importance de cette simplification, notamment pour la gestion des points de convergence : « alors que la première phase de recherche a permis d’apprendre et de générer des trajectoires réalistes, la seconde phase, actuellement en cours, adresse des trafics plus complexes. Nous obtenons au bout de 6 mois seulement des résultats prometteurs avec la résolution de conflits impliquant sept avions sans avoir à coder la gestion de conflit, chaque agent s’adaptant aux autres. »
Un simulateur de vol ou de tour n’a ensuite qu’à être couplé avec ce générateur de trafic pour permettre au pilote ou au contrôleur d’évoluer dans un environnement réaliste. L’intervention humaine est toujours possible. Pour simuler une situation particulière, l’opérateur peut prendre le contrôle d’un avion le temps nécessaire. Celui-ci reprendra ensuite sa vie dans le générateur.
Perspectives opérationnelles
Une fois opérationnel, EVAA pourra être utilisé pour de la formation et de l’entraînement, mais aussi pour développer et tester automatiquement de nouveaux concepts opérationnels. Didier Bosque évoque ainsi la possibilité de s’en servir pour mettre au point et valider des solutions ATM pour Sesar.
Sur le même principe que pour le reste de la révolution digitale, l’introduction de cette couche d’intelligence artificielle et d’automatisation va permettre de libérer des ressources humaines. L’ambition est de permettre à un formateur ou un ingénieur seul de mener un exercice complet sans avoir besoin de l’assistance de pilotes ou de contrôleurs pour rendre la simulation réaliste. Didier Bosque met ainsi en avant le gain de capacité potentiel qu’offre ce générateur de trafic autonome.
Le travail de recherche s’est fait via une thèse en trois ans (2013-2016), menée par Arcady Rantrua au sein de l’Irit avec le soutien de Sopra Steria. Elle entrait dans le cadre du dispositif de Conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre). Cette première devait montrer la capacité du système à apprendre et reproduire le comportement des avions. Une deuxième thèse de trois ans vient d’être lancée avec un autre étudiant, Augustin Degas, pour faire évoluer le système vers un générateur de trafics complexes intégrant par exemple la gestion autonome des conflits.
Pour l’instant EVAA est à un niveau de maturité encore peu avancé. Le directeur de l’Innovation estime qu’il est au stade TRL4 (échelle numérotée de 1 à 9 pour évaluer le niveau de maturité d’une technologie). Une preuve de concept a été menée avec le développement d’un premier démonstrateur technique, ce qui a suscité l’intérêt des experts de la gestion du trafic aérien. Des tests devraient être menés cette année pour confronter le trafic généré par le système avec des données réelles d’exploitation. Cette étape ouvrira les portes du TRL 5.