Cela fait dix-huit ans que Toulouse Business School (TBS) forme des professionnels au management dans le secteur de l’aéronautique grâce à son Aerospace MBA. Christophe Bénaroya, professeur de marketing, dirige le programme depuis près de trois ans. Après avoir travaillé à renforcer sa notoriété et à son déploiement à Bangalore, il mène une réforme du cursus à Toulouse pour en améliorer encore la qualité, qui prendra effet à la rentrée prochaine.
Quel est l’esprit du programme Aerospace MBA de TBS et quels sont les profils des participants ?
C’est un programme de formation exécutive pour des gens qui ont une expérience professionnelle significative, à vocation internationale, dans lequel nous formons essentiellement au leadership et au management appliqué à l’Aerospace. Nous avons une ambition large puisqu’il s’agit de couvrir l’ensemble de la chaîne de fournisseurs, des constructeurs aux compagnies aériennes, en passant par les aéroports et le côté spatial. Notre spécificité est de bien connaître les pratiques d’affaires du secteur et d’amener nos participants à un étage supérieur en termes de leadership et de management. Il y a deux catégories de profils : ceux qui travaillent dans le secteur Aerospace et veulent davantage travailler la partie managériale et internationale, et ceux qui ne sont pas du secteur, moins nombreux, et cherchent à comprendre l’écosystème.
Le programme est une expérience de transformation de gens qui ont déjà une expérience professionnelle de douze à quinze ans en moyenne. C’est assez atypique pour un MBA puisque les critères d’entrée sont généralement de cinq ans minimum. Nous en sommes loin et c’est lié au secteur : on peut y faire des carrières très intéressantes pendant dix à quinze ans sur la base de ses compétences techniques. Nous, nous les amenons à sortir de leur zone de confort. Une personne désireuse de sortir de son expertise métier et de passer à une nouvelle étape de sa carrière est incubée durant la formation et en ressort en ayant une vision plus généraliste, semblable à celle d’un CEO, une vision transverse de l’ensemble des enjeux et de l’impact de chacune de ses décisions sur les différents domaines de l’entreprise.
Quelles sont les spécificités du secteur aéronautique qui ont justifié la mise en place d’un MBA spécialisé ?
Nous sommes sur des produits complexes et à forts enjeux économiques et de sécurité. Une très grande spécificité du secteur est le poids de la norme, du juridique, de la certification, l’extrême prudence : il faut fournir les clefs de compréhension de ces enjeux. La chaîne de valeur associée est aussi extrêmement complexe. Dans la formation, nous allons souligner les enjeux dans l’écosystème Aerospace. Mais surtout les participants eux-mêmes, vu qu’ils font partie du secteur, vont être capables de former les autres en partageant leurs enjeux. Il y a énormément d’acteurs et il faut comprendre la famille si on veut pouvoir y travailler.
Après dix-huit ans d’existence, vous avez décidé de remodeler le programme. Quelles transformations allez-vous lui apporter ?
Jusqu’ici, il y avait deux cursus distincts : un à temps complet et un autre à temps partiel. A partir de la rentrée prochaine, d’octobre 2018, nous allons « hybrider » le programme : il n’y aura plus qu’une seule promo et non pas une promo full time et une part time dans le programme MBA. La différence, c’est que tous les cours qui comptent pour le diplôme réuniront les gens qui restent à temps plein d’octobre à octobre (l’ex-full time que nous allons appeler Long-haul) et ceux qui suivent le cursus à temps partiel (qui devient le Hub, les participants viennent suivre les cours diplômants quelques semaines puis repartent dans leur entreprise).
Les personnes qui suivent le cursus Long-haul ont des cours en plus, qui n’interviennent pas dans la délivrance du diplôme mais permettent de creuser des thématiques comme l’intelligence artificielle ou le big data et l’aerospace. On ne peut pas forcément les aborder sur le plan académique mais plutôt sur le plan du témoignage d’entreprise ou de séminaires de deux ou trois semaines pour résoudre une problématique d’entreprise. Ce sont des aspects plus pratiques.
Pour le Hub, la partie application terrain se fait une fois que la formation est achevée, lorsque les participants ont reçu tous les apports académiques. A partir d’octobre 2019, ils se lanceront dans deux types de projets, un projet individuel et un projet d’équipe, et seront diplômés une fois qu’ils auront rempli leurs missions. Le séquençage est un petit peu différent.
Pourquoi ce changement ?
Il y a plusieurs raisons. D’abord, nous avons eu un audit par notre organisme d’accréditation AMBA (Association of MBAs) qui a conclu qu’il fallait au minimum vingt personnes dans la salle de cours pour optimiser et enrichir la qualité du programme grâce à l’interaction. Ce n’est pas facile à faire car nous ne recrutons pas facilement : c’est un secteur très pointu et tout le monde ne peut pas s’arrêter un an ou dix-huit mois pour faire une formation exigeante. Nous ne pouvions pas nous assurer d’atteindre ce quota dans chacun des cursus séparément. En revanche, lorsqu’on les additionne, nous sommes largement au-dessus. C’était le premier déclencheur.
Mais cela ne venait pas que des accréditeurs. Nos anciens élèves et les comités de pilotage qui partagent leur expertise et leur regard sur le marché nous ont aussi conseillé de favoriser cet enrichissement et les interactions personnelles entre les participants.
Cela a-t-il entraîné d’autres modifications importantes dans le MBA ?
Cela a permis d’introduire d’autres modifications qui permettent d’améliorer encore l’expérience de l’enseignement. Tous nos participants ont désormais un travail préparatoire et vont devoir travailler tout l’été en interaction avec les professeurs sur un certain nombre de contenus pédagogiques qui vont leur être remis de façon digitale. De cette façon, ils sont acculturés dès le premier jour et, s’il y a une incompréhension, nous pouvons l’anticiper. Cela permet d’optimiser leur présence sur place, ce dont ils ont besoin. On ne peut pas se permettre de revenir sur les fondamentaux ou des choses assez basiques, il faut qu’on puisse se diriger rapidement vers des domaines d’expertise.
Il y a un autre changement au niveau des options. Le programme est découpé en trois grands temps sur le plan de l’enseignement : les core modules (les fondamentaux du management : finances, RH, marketing), les process workshops (plus applicatifs et transverses, comme la gestion de projet) et les options. Le problème des options était qu’elles couvraient quinze heures de cours et qu’il n’y avait pas forcément de cohésion puisqu’elles étaient gérées de façon isolée. La solidité de la progression pédagogique nous échappait.
Nous avons proposé d’avoir trois séminaires spécialisés, plus longs, avec pour résultat des kits de spécialisation plus riches en nombre d’heures : space business and application, aviation management et aerospace value chain. Ces trois séminaires durent dix jours, peuvent intégrer une visite d’entreprise, et permettent d’acquérir une très bonne connaissance du thème. Certains seront réalisés à l’étranger, un à Casablanca (aerospace value chain) et un autre à Montréal (aviation management). Ils pourront être ouverts à des gens externes et à nos anciens élèves (tous programmes confondus), ce qui permet de favoriser le networking. Nous avons déjà de très bons signes de gens qui sont intéressés par ces modules.
Vous insistez beaucoup sur le côté international du MBA Aerospace, comment cela se traduit-il dans la réalité ?
Cette année, il y avait quinze nationalités parmi les seize élèves du programme full time et seize nationalités sur dix-sept élèves dans la partie part time. Au total, nous devons avoir vingt-deux nationalités représentées, venant d’Inde, du Nigeria, de Jordanie, du Kazakhstan… C’est assez difficile car les participants doivent mener des projets ensemble alors que le rapport au temps, à l’enseignement est très culturel, mais ils apprennent beaucoup. C’est même l’un des enseignements majeurs.
Quelles sont vos relations avec les entreprises et les écoles à Toulouse ?
Nous sommes vraiment enracinés dans l’écosystème toulousain. Nous avons trois constructeurs aéronautiques (Airbus, ATR, Daher), deux intégrateurs de satellites, un très grand nombre de sous-traitants… Nulle part ailleurs dans le monde, on trouve une telle concentration d’acteurs de premier plan. Nous sommes membres d’Aerospace Valley mais aussi très proches de nos collègues écoles d’ingénieurs, que ce soit l’ENAC ou Supaero. Il y a un terreau fertile sur les parties recherche, transdisciplinaires. Et nous sommes membres d’associations.
Nous ne pouvons pas aborder les thématiques du secteur avec une vision purement académique des choses, il faut que nous soyons très imbriqués avec les acteurs économiques. C’est pour cela qu’on ne participe pas aux salons étudiants et que nous n’allons qu’aux événements professionnels, comme les salons aéronautiques (Farnborough, le Bourget, Aero India), que nous sommes partenaires d’événements professionnels comme les trophées de l’aéronautique. Les gens qui nous suivent sont des professionnels et ils ne vont pas chercher leurs informations dans les salons du MBA mais plutôt dans leur univers de référence.
Quelle est la demande pour l’Aerospace MBA ?
Lorsqu’on m’a confié la responsabilité du programme il y a quasiment trois ans, je me suis rendu compte que nous n’étions pas très visibles en termes de communication. Nous avons fait des actions sur les réseaux sociaux, créé un blog et nous avons participé à davantage d’événements professionnels, ce qui a placé le programme sur le radar de davantage de gens. Il faut continuer à le faire car c’est un processus très long. Le temps de conversion entre le moment où les personnes sont intéressées et le moment où elles rentrent peut atteindre cinq, six ou sept ans : elles sont dans des organisations professionnelles, ont une vie professionnelle, familiale et partir plusieurs mois ou un an n’est pas neutre.
Cette année, nous n’avons jamais eu autant de demandes. Je pense que c’est dû aux efforts en interne mais aussi au fait que nous nous soyons déployés en Inde et que cela a fait une caisse de résonnance dans d’autres endroits du monde que l’Europe. Il n’en demeure pas moins que je ne veux pas que le nombre de participants explose parce que cela risque de se faire aux dépens de l’expérience de formation. Nous allons nous maintenir à un niveau raisonnable de quarante élèves maximum.
Pourriez-vous envisager de mettre en place d’autres partenariats internationaux, similaires à celui avec l’IIMB (Indian Institute of Management Bangalore) ?
Je suis prudent. Sur les séminaires thématiques de quinze jours, je pense que c’est totalement faisable et que c’est un modèle qui peut intéresser un certain nombre d’acteurs partout dans le monde. Chacun est gagnant puisque l’école en question va pouvoir ajouter à son offre une thématique qu’elle n’avait pas jusque là. Nous-mêmes sommes gagnants car nous pouvons nous appuyer sur l’infrastructure et le réseau d’un partenaire pour l’organisation. J’ai déjà quelques pistes de déploiement, notamment en Asie et en Amérique du Nord – je suis en discussion au Canada pour que le module de quinze jours puisse être réalisé en association avec une autre école partenaire.
Il a été question que nous allions dans d’autres endroits du monde pour reproduire le programme entier mais il faut bien regarder l’ensemble de la maquette. C’est très compliqué car les professeurs ne se multiplient pas et il y a des phénomènes de distance. Ne serait-ce que l’Inde, on ne peut pas y aller toutes les semaines, surtout qu’on demande aussi à nos professeurs de publier, d’être des acteurs de recherche. Multiplier le nombre de programmes implique de multiplier le nombre de professeurs et il me paraît difficile d’assurer un tel type de recrutement juste sur un programme spécialisé.
Par ailleurs, il faut pouvoir assurer les organismes d’accréditation que le programme n’est pas dégradé, contrairement à ce qu’ils ont connu avec les écoles de commerce et la folie de la Chine, où le transfert n’était finalement que la vente de la marque, la qualité du programme n’étant pas au rendez-vous. Nous ne voulons vraiment pas de cela. Nous sommes un certain nombre de professeurs qui allons enseigner aussi en Inde. C’est très exigeant et je ne vois pas comment on pourrait multiplier le nombre d’accords pour délivrer l’ensemble du programme.