Marc Houalla prendra la direction de l’aéroport d’Orly le 16 octobre prochain. Avant de s’engager pleinement dans ses nouvelles fonctions, il a dressé le 10 octobre le bilan de ses neuf ans à la tête de l’ENAC. Une période marquée par une forte internationalisation des activités de l’école, qui devait initialement permettre de gagner de nouveaux marchés et doter l’établissement d’une renommée mondiale. Mais depuis un an, les choses ont changé : la pénurie de pilotes commence à se faire vraiment sentir et une pénurie de contrôleurs aériens se dessine. « Nous sommes à la fin d’un cycle bas et personne n’avait anticipé la reprise », explique-t-il. La stratégie à l’international n’est absolument pas remise en cause, au contraire, mais elle prend une nouvelle dimension : faire place aux besoins de formation français.
Air France va lancer un appel d’offres pour 100 à 150 pilotes
Du côté du marché des pilotes, la pénurie est « un phénomène très récent. En l’espace d’un an, le marché est devenu très tendu et les demandes vis-à-vis de l’ENAC ont été multipliées par trois. La demande en pilotes dépasse très largement nos capacités. » En cause en France, le départ à la retraite des baby-boomers et le report de l’âge de départ à la retraite qui n’a fait que déplacer le problème. A cela s’ajoute l’explosion du trafic en Asie, qui accroît les besoins.
Alors qu’Air France ne recrutait plus de cadets ENAC depuis 2009, la compagnie française s’apprête à lancer un appel d’offres en novembre ou décembre pour former entre 100 et 150 pilotes, appel d’offres auquel l’ENAC va répondre et pour lequel les recrutements d’élèves devraient débuter en mars 2018. Si l’ENAC a les capacités de former ce volume de pilotes, elle ne pourra pas toutefois continuer à former ses cadets étrangers en France.
« Nous sommes en train de créer des réseaux d’écoles à l’étranger pour ne pas perdre nos pilotes cadets étrangers et pour libérer de la place en France pour Air France. En tant qu’Ecole Nationale de l’Aviation Civile, nous ne pouvons pas ne pas répondre aux besoins de la compagnie nationale. » Ainsi, les pilotes chinois (pour Shanghai Airlines, China Eastern, China Southern ou Air Macau par exemple) seront formés en Malaisie, les pilotes de Royal Air Maroc au Maroc… Le principe est de créer de nouvelles écoles ENAC, de s’associer avec Airbus pour dispenser des formations et de créer des réseaux d’écoles, en s’appuyant sur la Fnam. « Notre but c’est de garder toutes les compagnies avec lesquelles on travaillait. Aujourd’hui, cela ne sert à rien de faire du démarchage en plus. »
« Ce manque de pilotes qu’on constate aujourd’hui va arriver pour les contrôleurs aériens dans le futur. D’après moi, cela a déjà un peu commencé. »
Dans le domaine de la navigation aérienne également, l’ENAC a démarché des pays étrangers ces dernières années pour assurer la formation de leurs contrôleurs aériens et elle a remporté des succès en Chine, en Suisse, en Géorgie et au Kazakhstan notamment. Elle a également remporté un contrat de dix ans pour former les contrôleurs d’Eurocontrol. Mais là encore, elle a « saturé ses capacités de formation à l’ENAC sur place » et rencontre une pénurie d’instructeurs : « en France on n’a plus assez de contrôleurs aériens pour venir former les élèves à l’ENAC ».
La stratégie est donc la même que pour les pilotes : des écoles franchisées sont créées dans le monde. « On a aujourd’hui des demandes pour créer des écoles ENAC pour former des contrôleurs aériens au Kazakhstan, qui nous permettrait de couvrir l’Asie centrale, en Thaïlande et en Indonésie », pour couvrir l’ASEAN. L’idée est d’arrêter de former des élèves, sauf en France, et d’installer des standards ENAC à l’étranger en formant des formateurs, en vendant le savoir-faire et les outils de formation. A la différence des écoles de pilotage, où l’ENAC amène ses clients, les écoles de navigation aérienne iront chercher elles-mêmes les leurs. Petite exception : « on va continuer à former les gens de Maastricht par contre parce qu’on tient à ce label européen. »
L’ENAC a une spécificité qui a intéressé l’OACI : les formations sont reconnues par l’enseignement supérieur – les pilotes sont dotés d’une licence universitaire, les contrôleurs d’un master. « Le couplage avec l’enseignement supérieur est une tendance de fond selon l’OACI donc le modèle ENAC va de plus en plus s’exporter », prédit Marc Houalla. D’ailleurs, « l’OACI a demandé à l’ENAC de créer un réseau d’universités de l’aviation qui soit capables de compléter les formations de pilote ou de contrôleur par des diplômes. Le réseau sera constitué au mois de novembre. »
Former des ingénieurs à l’étranger pour contribuer au soft power de l’aéronautique française
« Il y a neuf ans, mon directeur général m’avait demandé de faire de l’ENAC une école de référence au niveau mondial sur les trois thèmes que sont la formation au pilotage, la formation en navigation aérienne et la formation en ingénierie aéronautique. » Pour l’ingénierie encore, l’ENAC a des capacités limitées de formations. Dans ce domaine encore, elle a décidé de se développer au travers de hubs disséminés dans les grandes régions du monde. Ces hubs de formation ont été créés au travers de partenariats à long terme avec des universités ou centres de formation locaux et proposent des formations en commun. L’un des hubs les plus importants se trouve en Chine, pays dont « les besoins en formation défient l’entendement ». Bien que l’ENAC ait déjà établi trois partenariats dans le pays qui concernent un millier d’étudiants, le gouvernement chinois a demandé à ce qu’elle participe à la création d’une université du transport aérien. Un accord devrait être signé au mois de novembre lors de la visite du Président Emmanuel Macron en Chine.
La zone ASEAN est également très importante et bénéficie de ses hubs également. Celui dédié à l’ASEAN du nord a été installé à Hong-Kong avec le soutien de l’aéroport, celui de l’ASEAN du sud se trouve en Indonésie. Par ailleurs, l’ENAC a réussi à s’implanter au Moyen-Orient à Abou Dhabi, où elle s’est notamment associée à la Sorbonne. Enfin, un dernier hub est en préparation en Côte d’Ivoire et devrait être associé à une école de pilotage.
« Ces hubs vont faire la renommée de l’ENAC à l’international », se félicite Marc Houalla et l’école souhaite continuer dans cette direction. Elle souhaite également s’allier à d’autres écoles d’ingénieurs françaises – comme l’ISAE-Supaéro – pour que les formations françaises gagnent en poids sur la scène mondiale. Et pour apporter sa contribution au soft power de l’aéronautique française.