Après deux années catastrophiques pour le transport aérien, 2022 restera marquée par une reprise d’une ampleur inattendue, malgré le prolongement des restrictions de voyage en Asie et surtout en Chine. Avec elle, les grands projets sont de retour, même si des vents contraires continuent de souffler : la covid-19 entretient la vigilance, les perturbations géopolitiques s’amplifient et la lutte pour la décarbonation est une préoccupation de tous les instants.
L’OACI s’engage pour la neutralité carbone du transport aérien en 2050
La 41e assemblée de l’OACI en septembre a revêtu une importance historique. A l’issue de deux semaines de négociations, 193 pays membres de l’Organisation de l’aviation civile internationale ont voté en faveur de la feuille de route qui doit permettre au secteur de devenir neutre en carbone d’ici 2050, le LTAG (Long-Term Aspirational Goal). Alors que CORSIA semblait en danger, le dispositif a été renforcé mais des engagements ont surtout été pris sur le développement de l’industrie des carburants durables d’aviation (SAF), qui représentent le meilleur espoir à moyen terme d’atteindre ce très ambitieux mais essentiel objectif. D’autres mesures sont prévues, comme l’adoption accélérée de technologies novatrices ou la rationalisation des opérations aériennes.
La guerre en Ukraine et la fermeture des espaces aériens
L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier a profondément modifié le ciel mondial, principalement pour les compagnies européennes. En effet, l’Union européenne a très vite réagi en imposant des sanctions lourdes à la Russie, notamment la fermeture de son espace aérien aux compagnies aériennes russes et la saisie de leurs biens sur le territoire. La Russie a riposté en faisant de même, privant les transporteurs européens de leur droit à survoler la Sibérie pour rejoindre l’Asie et allongeant de ce fait les temps de vols de jusqu’à trois heures. Cette action avait déjà un impact fort en temps de restrictions de voyage (liées à la pandémie de covid-19), obligeant les compagnies nordiques, Finnair en tête, à revoir leur modèle économique. Maintenant que les pays d’Asie ont progressivement levé les restrictions de voyage tout au long de l’année 2022 et que la Chine s’apprête à le faire également, les compagnies européennes se préparent à faire face à une importante distorsion de concurrence venant notamment de leurs concurrentes chinoises.
Le retour en grâce de l’A380
En 2020, on pensait l’A380 mort et enterré. En 2021, le dernier appareil produit par Airbus a été livré à Emirates, sur fond de déclin. Mais 2022 a tout changé. La reprise du trafic aérien mondial – combinée aux problèmes de livraison chez Boeing – a incité plusieurs compagnies aériennes à remettre leurs Super Jumbos en service. C’est notamment le cas de Qantas, d’ANA, de Lufthansa (alors que son président Carsten Spohr avait déclaré ne plus voir comment l’A380 pourrait de nouveau trouver sa place dans les opérations du groupe), de Thai Airways et même d’Etihad. Quant à Emirates, qui ne peut pas se passer de l’appareil, elle investit lourdement dans de nouvelles cabines (installation d’une Premium Economy). Inversement, la seule compagnie qui avait maintenu ses A380 opérationnels durant la crise, China Southern Airlines, a décidé cette année de se séparer de ses appareils.
Vers une nouvelle Air India
2022 restera en Inde comme l’année du renouveau pour Air India. Après des années de tentatives infructueuses, le gouvernement indien est parvenu à vendre la compagnie indienne. Le 27 janvier, Air India est devenue la propriété à 100 % du groupe Tata, le même qui l’avait créée en 1932. Le conglomérat a de grands projets pour lui redonner sa grandeur, notamment un rajeunissement de la flotte – qui s’est pour le moment traduit par des accords de leasing mais pourrait impliquer une très importante commande d’avions neufs – et une reprise de parts de marché aussi bien sur le réseau intérieur que sur le réseau international.
Le groupe Tata a également oeuvré toute l’année à optimiser ses activités dans l’aérien et travaille aux fusions de Vistara avec Air India et d’AirAsia India avec Air India Express.
Le projet Sunrise remis sur les rails
Suspendu le temps de la pandémie, le projet Sunrise de Qantas a fait son retour par la grande porte au printemps, avec la signature de la très attendue commande de douze A350-1000 auprès d’Airbus. L’idée pour la compagnie australienne est de pouvoir proposer des vols directs vers n’importe quelle destination du monde. Les A350-1000 recevront un aménagement spécial, pour leur assurer un rayon d’action adéquat et pour rendre supportables des vols sans escale pouvant durer jusqu’à vingt heures : une cabine avec quatre classes et 40% de sièges premium (dont six suites de première classe), ainsi qu’une zone « bien-être » où les passagers pourront aller se dégourdir les jambes et ses restaurer. Les premiers vols sont prévus pour la fin de l’année 2025.
En parallèle, Qantas a confirmé le projet Winston de renouvellement de sa flotte intérieure, avec la confirmation d’une commande pour une quarantaine d’A220-300 et d’A321XLR.
Le retour des commandes géantes
La crise sanitaire et économique de 2020 avait quelque peu tempéré les ardeurs des compagnies aériennes à signer des commandes importantes, même si quelques lettres d’intention étaient venues réveiller un secteur en souffrance. Avec 2022, les contrats majeurs ont été de retour. Chez Boeing, United Airlines a terminé l’année avec l’acquisition d’une centaine de 787, assortis d’options sur une centaine d’appareils supplémentaires, et la confirmation d’un engagement pour cent 737 MAX (dont 56 nouveaux). Delta Air Lines avait quelques mois auparavant elle aussi signé pour cent 737 MAX 10, tandis qu’Alaska Airlines s’est engagée pour 52 737 MAX. Chez Airbus, c’est du côté de la Chine que des accords majeurs ont été conclus pour près de 300 appareils : 96 appareils de la famille A320neo pour le groupe Air China, une centaine pour China Eastern et 96 pour China Southern.
Bataille autour de Spirit Airlines
Le feuilleton de l’année 2022 aux Etats-Unis aura eu pour thème le rachat de Spirit Airlines. L’histoire commence de façon classique avec un projet de fusion dévoilé par Spirit Airlines et Frontier Airlines en février, prévoyant de créer la plus importante compagnie ultra-low-cost du pays. Mais JetBlue s’invite rapidement dans les discussions en présentant une contre-offre supérieure de 37 % à celle de Frontier Airlines pour que Spirit passe sous son giron. Après plusieurs mois de bataille de communication et malgré les inquiétudes soulevées quant au renforcement de JetBlue sur la côte Est (notamment en Floride), Spirit et JetBlue scellent leur rapprochement en juillet. A partir de mi-2024, JetBlue deviendra ainsi la cinquième compagnie américaine avec 77 millions de passagers potentiels, un chiffre d’affaires de 11,9 milliards de dollars et une flotte de 458 appareils (avec trois cents appareils supplémentaires en commande chez Airbus, A220 et A320neo).
Les choses bougent dans le ciel saoudien
Alors que l’Arabie saoudite s’appliquait à protéger son ciel et ses transporteurs, ses nouvelles ambitions ont complètement changé la donne. Désireux de devenir lui aussi une plateforme de correspondances reliant tous les continents, comme les Emirats arabes unis ou le Qatar, le royaume a multiplié les avancées pour favoriser le transport aérien. Après avoir assuré la modernisation et la croissance de Saudia, le gouvernement travaillerait au lancement d’une autre grande compagnie aérienne, pour le moment connue sous le nom de RIA. Soutenue par le fonds d’investissement souverain saoudien, elle pourrait passer une commande majeure d’A350 et aurait pour objectif de desservir 150 destinations sur tous les continents et faire de Riyad un hub de la puissance de Dubaï en quatre fois moins de temps. Pour cela, un plan directeur a été élaboré pour multiplier les capacités de l’aéroport à 120 millions de passagers annuels en 2030 et le doter de six pistes parallèles.
En parallèle, les autorités ont décidé cet été d’ouvrir l’espace aérien saoudien « à tous les transporteurs remplissant les conditions réglementaires de survol » et ont travaillé avec Wizz Air pour développer le transport aérien dans le pays – la low-cost hongroise y a commencé son développement cet automne. Une société de leasing nationale a été créée et réalisé ses premières opérations, AviLease, et flynas poursuit sa croissance, ayant le feu vert pour augmenter son carnet de commandes et ayant reçu ses premiers gros-porteurs (deux A330-300 pour pèlerinages et international).