Alors que les leaders du transport aérien mondial sont réunis à Dubaï pour l’assemblée générale annuelle de l’IATA, Willie Walsh s’est plié à la tradition de mise à jour des prévisions économiques du secteur pour 2024. Dans son long discours de politique générale, le directeur général de l’association internationale du transport aérien a annoncé que 2024 devrait être le cadre de revenus record des compagnies aériennes mondiales, avec un nombre record de passagers et des yields passagers toujours en hausse. Mais il tempère l’enthousiasme : les dépenses elles aussi atteindront un niveau record.
Willie Walsh annonce ainsi que les recettes des compagnies membres de l’IATA devraient frôler le millier de milliards de dollars (996 milliards de dollars plus précisément). Cette hausse de 9,7 % par rapport à 2023 sera poussée par le transport de passagers. L’IATA estime que 4,96 milliards de passagers devraient être transportés cette année – malgré une réduction de 1,4 million des vols en raison des problèmes de production -, avec des yields qui poursuivent leur hausse, de 3,2%, ce qui permettra aux recettes d’augmenter de 15,2 % à 744 milliards de dollars. En revanche, le cargo restera dans sa tendance de retour à la normale : malgré une demande toujours forte, les yields devraient se dégrader de 17,5 %, entraînant une baisse de 13 % des recettes, à 120 milliards de dollars. Cette sombre image est réhaussée par le fait que les yields comme les recettes restent supérieurs à ce qu’ils étaient en 2019.
En parallèle, les dépenses vont également gonfler. Elles devraient atteindre 936 milliards de dollars (+9,4 %), notamment en raison d’un niveau élevé du prix du carburant (à 113,8 dollars le baril), amplifié par un crack spread à 30 % – et appelé à rester structurellement élevé, selon la chief economist de l’IATA, Marie Owens Thomsen -, tandis que la coûteuse course aux carburants durables se poursuit (même s’ils ne satisfont que 0,53 % de la demande en carburant). Les coûts hors carburant sont mieux maîtrisés et augmentent de conserve avec l’augmentation du nombre d’emplois.
Les membres de l’IATA pourraient ainsi enregistrer des bénéfices de 30,5 milliards de dollars, au-dessus des prévisions initiales de 25,7 milliards de dollars et au-dessus des bénéfices estimés pour 2023, qui devraient se situer à 27,4 milliards de dollars. Ces prévisions s’améliorent donc considérablement, puisque l’IATA estimait initialement que la rentabilité des compagnies se dégraderait par rapport à l’année dernière.
L’IATA surveille toutefois sérieusement les développements, notamment géopolitiques, qui pourraient induire davantage de difficultés pour les opérations de ses membres et nuire à leur efficacité. Rappelant que les bénéfices par passager dépassent à peine les 6 dollars en moyenne, Willie Walsh estime en effet que la rentabilité de l’industrie n’est fragile et ne peut pas être tenue pour garantie. Elle est dépendante des développements des économies, avec une attention particulière portée à l’évolution de celle de la Chine, en pleine transition avec une croissance ralentie, un chômage des jeunes en hausse et un secteur tertiaire plus fort que le secteur primaire.
Les problèmes de la chaîne d’approvisionnement continuent d’avoir un impact sur le secteur, avec des problèmes de maintenance non anticipés, des immobilisations plus longues et des retards de livraison chez les avionneurs – « très frustrants pour les compagnies aériennes », commente Willie Walsh. Il précise également que les difficultés actuelles de Boeing, leurs lourdes conséquences sur la production du 737 MAX et les répercussions sur les autres programmes, « suppriment une part de la croissance en ce moment mais sont inclues dans les prévisions » de l’IATA. L’association estime que les retards vont entraîner le report de 11 % des livraisons qui étaient initialement prévues en 2024.
Enfin, le directeur général de l’IATA rappelle que 2024 est une grande année d’élections importantes partout dans le monde, qui pourraient changer l’équilibre précaire actuel. Si des changements de politiques sont évidemment souhaités en faveur de la promotion du transport aérien et de la trajectoire vers le net zéro, le risque plane également d’une paralysie, au détriment du développement et de la décarbonation.
En revanche, l’interrogation très européenne d’imposer une pause dans la croissance du transport aérien pour limiter les émissions n’inquiète pas l’industrie. « Il n’y a aucune discussion de ce genre en dehors de certaines régions de l’Europe. Le reste du monde mesure la valeur du transport aérien et les continents en développement veulent profiter des bénéfices de l’aviation comme l’Europe en a profité si longtemps jusqu’ici », affirme Tim Clark, le directeur général d’Emirates.