Le temps du « travel revenge » est passé mais ce n’est pas un regret pour les acteurs du transport aérien français. En effet, la demande reste très « forte et dynamique », selon les mots de Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair et directeur général de la FNAM (Fédération nationale de l’aviation et de ses métiers). « C’est très réconfortant pour nous de voir qu’il n’y a pas de boycott, de réticence, de réserve vis-à-vis du transport aérien et que c’est un mode de transport qui reste plébiscité par la clientèle et qui correspond à des nécessités individuelles et professionnelles », ajoute-t-il.
Après avoir retrouvé 80 % de son niveau de 2019 en 2022 (qui avait débuté avec la propagation d’omicron), le trafic France a dépassé les 90 % de son niveau de 2019 au cours des deux premiers mois de l’année. Les performances sont particulièrement bonnes sur le réseau européen, l’Amérique du Nord et les départements et régions d’Outre-mer, une reprise se matérialise sérieusement vers l’Afrique, tandis que l’Asie reste en retrait en raison d’une réouverture plus tardive.
Autre raison d’optimisme : les passagers ont tendance à anticiper davantage leurs réservations et leur niveau est bon pour l’été. Alors que les incertitudes liées à la crise sanitaire avaient poussé les voyageurs à réserver à la dernière minute leur voyage (autour de deux mois avant pour un vol long-courrier), le délai a tendance à s’allonger (environ quatre mois actuellement, contre six mois avant la crise), garantissant une meilleure visibilité aux compagnies. Marc Rochet, directeur général d’Air Caraïbes et président de French bee, estime par ailleurs que l’augmentation des tarifs des billets d’avion (15 % en moyenne par rapport à 2017, 28 % hors inflation) va elle aussi inciter les voyageurs à anticiper davantage leurs déplacements.
Les secteurs cargo et d’aviation d’affaires, qui avaient connu une envolée durant la crise, voient en revanche un tassement de leur activité. Le premier subit les répercussions de la chute brutale des tarifs dans le secteur maritime. Quant à l’aviation d’affaires, elle avait redémarré très vite après que la crise sanitaire a éclaté (en raison de la perte abyssale de connectivité dans l’aviation commerciale et de son agilité propre). Mais l’activité est en baisse sensible depuis l’été 2022, avec une chute de trafic de 10 % en septembre 2022 par rapport à septembre 2021 voire de 30 % au premier trimestre 2023 par rapport à 2022 sur certains segments (par exemple les vols d’affaires long-courrier).
Une vigilance toujours nécessaire
Bien sûr, tout n’est pas rose dans le transport aérien et les difficultés évoquées durant toutes ces dernières années n’ont pas disparu. Le secteur vit même un « cauchemar », selon les mots d’Alain Battisti, président de Chalair, en raison des grèves du contrôle aérien depuis le début de l’année. Dans un contexte de protestation contre la réforme des retraites, 34 jours de grève ont eu lieu, entraînant l’annulation de 3 000 vols par anticipation (à la demande de la DGAC) mais aussi 500 vols « à chaud ». La FNAM demande à ce que la loi Diard s’applique au contrôle aérien, ce qui obligerait les contrôleurs grévistes à se déclarer préalablement à la journée d’action et éviterait les annulations au dernier moment. « Nous avons l’habitude de ces perturbations mais il y a un effet cumulatif sur les dernières semaines », regrette Alain Battisti.
Dans le cadre de ces mouvements de grève, le groupe ADP estime avoir perdu 470 000 passagers dans ses aéroports parisiens au premier trimestre et le groupe Air France évalue à 110 000 le nombre de ses clients touchés.
Indépendamment de cela, le transport aérien, comme tous les secteurs de l’économie, est touché par les difficultés de la chaîne d’approvisionnement : perturbation des flux logistiques, hausse des coûts de matériaux, de maintenance… Alors que Ryanair a dû réduire son programme de vols pour l’été car il lui manquera dix Boeing 737 MAX, les acteurs du transport aérien français doivent eux aussi composer avec les délais de livraison non seulement des avions mais aussi des équipements. « Ce ne sont pas des difficultés technologiques mais vraiment logistiques. Cela ne va pas poser de problèmes critiques mais reste à surveiller. Ce qui est inquiétant, c’est que nous n’avons pas de délai de règlement », confie Marc Rochet.
Un engagement indéfectible en faveur de la décarbonation
Dans ce contexte mouvementé, le secteur continue de s’engager en faveur de la décarbonation de l’aviation. Pascal de Izaguirre souligne que le transport aérien a été le premier et l’un des rares secteurs à avoir remis sa feuille de route de décarbonation au gouvernement (en février et elle est consultable par tous désormais). Elle décrit notamment deux scénarios pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, un conservateur s’appuyant sur ce que prévoit la réglementation, l’autre doté d’objectifs plus ambitieux, qui devraient mener à une réduction des émissions de CO2 de 80 % dans le premier cas et 90 % dans le second, le reste devant être compensé.
Elle expose également les leviers de cette décarbonation et les ressources nécessaires, en plaidant fortement pour la création d’une filière française de production de carburants durables d’aviation (SAF).
Répondant à la volonté exprimée par le PDG de la SNCF de taxer davantage le transport aérien et le transport routier pour financer le transport ferroviaire, la FNAM souhaite également rappeler que le transport aérien doit garder les moyens de financer sa propre transition écologique, alors que lui finance déjà ses infrastructures et la sûreté, et contribue de manière positive au budget de l’Etat. Les investissements dans sa transition écologique vont représenter un milliard d’euros supplémentaires pour le pavillon français en 2025 et 3 milliards d’euros en 2030, alors que les compagnies sont déjà fortement endettées à cause de la crise.