La volatilité des prix du carburant et le désir de plus en plus revendiqué de réduire l’empreinte environnementale de l’aviation ont la même conséquence vertueuse : les compagnies aériennes traquent la moindre surconsommation. Les pilotes sont en première ligne dans cette lutte et s’astreignent de plus en plus à adopter les principes de l’éco-pilotage : réduction du poids des appareils, trajectoires et vitesse optimisées, roulage sur un moteur… de multiples pistes d’amélioration s’offrent. Et dans le monde de l’éco-pilotage, Transavia fait figure de pionnière, comme nous l’explique Simon Leblanc, chef pilote et en charge de la politique pétrole de la low-cost.
L’éco-pilotage n’est pas une notion nouvelle, née avec le « flygskam », loin s’en faut. Et depuis le début des années 2010, époque où le prix du kérosène était à son plus haut, les bonnes pratiques se sont développées partout afin de réduire le poids de ce poste de dépenses qui avoisine le tiers des coûts d’une compagnie. Les principales portent sur la réduction du poids de l’appareil – ce qui, appliqué au pilotage, revient notamment à éviter de prendre un surplus de kérosène et d’eau -, les approches en descente continue plutôt que par paliers, qui permettent de réduire la puissance des moteurs, ou l’utilisation d’un seul moteur au roulage. Sur un vol, l’économie réalisée en termes de consommation peut sembler dérisoire. Mais en réalité, « chaque kilo de carburant compte », affirme Simon Leblanc.
Pour surveiller ses performances d’éco-pilotage et les optimiser, Transavia s’est très tôt reposée sur le numérique en s’associant à la start-up toulousaine OpenAirlines dès 2013 pour lancer SkyBreathe. Puis, en 2016, elle a aidé SafetyLine à développer OptiClimb, qui utilise l’intelligence artificielle et le machine learning pour optimiser le profil de montée, outil mis en service en février 2018.
« Grâce aux deux outils combinés, nous avons pu économiser 80 kg de kérosène par vol en 2018, soit 11 000 tonnes de CO2 sur l’année. Nous n’avons pas encore les données pour 2019 mais il est intéressant de noter qu’au troisième trimestre 2019, durant notre période la plus dense qui est l’été, nous avons atteint une amélioration de 29% de cette performance : maintenant, nous économisons plus de cent kilos par vol », annonce Simon Leblanc.
Connaître les meilleures pratiques et les appliquer au mieux avec OpenAirlines
Le principe de l’application d’OpenAirlines, my Fuel Coach chez Transavia, est d’intégrer les procédures issues du constructeur ou optimisées par la compagnie et de les confronter à la façon dont l’équipage a conduit son vol : « une fois le vol terminé, les données sont prélevées, mises dans l’appli et le pilote peut voir s’il a bien appliqué les procédures. » Un camembert est généré pour chaque vol avec un pourcentage de réalisation des procédures, qui permet de voir directement les axes à améliorer. Chaque pilote a son accès et ses données de vol restent confidentielles. En revanche, il peut comparer sa performance avec celle d’un collègue (sans savoir lequel) ou la moyenne de la compagnie.
Plusieurs bonnes pratiques sont évaluées. Par exemple, dans le cadre de l’avitaillement, « on demande aux pilotes de se limiter au pétrole réglementé, si les contraintes opérationnelles le permettent ». En cas d’orage ou de contraintes mécaniques sur l’avion, le pilote peut décider d’emporter davantage de carburant (des forfaits sont élaborés par la compagnie selon le type de contrainte), ce qui ne se répercutera pas sur son bilan.
Une autre bonne pratique consiste à éviter l’utilisation des reverses « car cela consomme beaucoup de carburant et a des impacts au niveau de la maintenance. Nous privilégions, quand nous pouvons le faire au niveau opérationnel, l’utilisation des freins des roues ». De même, les 737 de Transavia roulent autant que possible sur un seul moteur après avoir atterri pour rejoindre leur point de parking.
En ce qui concerne les approches en descente continue, les contraintes extérieures sont plus fortes. « Nous évoluons dans des environnements très surchargés, dont Orly. Sur Orly, si nous étions seuls, nous pourrions lisser la descente du point de début de descente jusqu’à l’atterrissage. Mais c’est difficile, nous sommes contraints par le contrôle aérien, les trajectoires bien particulières – surtout cet été alors qu’il n’y avait qu’une seule piste ouverte. »
L’application d’OpenAirlines n’est pour le moment disponible qu’en débriefing. Transavia travaille avec la société toulousaine pour pouvoir l’utiliser en briefing, dans la planification. Les deux partenaires se sont également associés sur un nouveau projet en octobre, SkyBreathe Onboard, qui sera disponible en vol. Mais l’outil ne devrait pas être disponible avant un an.
Safety Line aide à mieux gérer l’avion en vol
Transavia a également été la première cliente de la start-up parisienne Safety Line, qu’elle a soutenue dans le développement de son outil OptiClimb. Cette fois, il s’agit d’utiliser l’intelligence artificielle et le machine learning pour déterminer des profils de montée. En prenant des données météorologiques plus récentes et plus précises que celles des ordinateurs de bord et les retours d’expérience des vols précédents, OptiClimb est capable de « générer non pas deux mais trois vitesses dans le profil de montée » et les gains associés. « Cela nous permet en moyenne d’économiser 89kg de carburant par étape », précise Simon Leblanc.
Transavia a voulu étendre l’outil à d’autres phases du vol et a demandé à Safety Line de développer OptiSpeed. Lancée cet été, cette application permet de réduire la vitesse de croisière de manière à arriver dans la bonne fenêtre de tir à l’aéroport de destination, tout en montrant au pilote les choix qui se présentent à lui et leurs bénéfices : « par exemple, nous volons en mach 0.79. L’application montre que si l’on réduit la vitesse à mach 0.78, 0.77 ou 0.76 (le minima pour la sécurité des vols), on peut économiser jusqu’à 50 kg de carburant en ne perdant qu’une à trois minutes. »
Désormais, les partenaires travaillent sur OptiDirect, qui permet à l’ordinateur de proposer des raccourcis sur le plan de vol déposé, qui ont déjà été pratiqués plusieurs fois. Si le contrôle aérien donne son accord, cette ligne directe permet encore de sauver quelques minutes de vol mais surtout plusieurs kilos de carburant. Et un autre projet est en développement : OptiLevel, pour mieux gérer l’altitude de croisière.
Tous ces outils montrent l’engagement de Transavia à réduire sa consommation de carburant, une préoccupation environnementale qui va de pair avec des considérations économiques. Ils permettent également aux pilotes de pouvoir adapter leurs habitudes de pilotage à ces objectifs. Mais leur présence de plus en plus marquée ne semble pas représenter une contrainte ou une charge de travail supplémentaire pour les PNT. Simon Leblanc la voit plutôt comme quelque chose de « stimulant ». « La maîtrise de la consommation de carburant est très importante pour nous : cela fait partie de nos procédures au quotidien, c’est dans l’ADN de la compagnie et c’est bien intégré par les pilotes. Ce sont des personnes qui aiment toujours aller vers la performance et s’améliorer. »