Alors que les réservations sont enfin au plus haut, dépassant parfois les niveaux de 2019, les acteurs du transport aérien se montrent prudents. A l’occasion du congrès annuel de la FNAM, qui s’est déroulé le 2 juin, plusieurs représentants du secteur ont temporisé une euphorie, qui pourrait n’être que de façade et de durée limitée vu les vents contraires que les compagnies et les aéroports vont devoir affronter.
Marc Rochet, le directeur général d’Air Caraïbes et président de french bee, confirme en effet qu’il y a eu une forte reprise de la demande à partir d’avril, les engagements de réservation étant déjà supérieurs de 24% en mars à ceux de mars 2019. « L’été va être fort », affirme-t-il tout en prévenant que deux phénomènes viennent mettre en danger les bénéfices potentiels de cette reprise : l’évolution importante et défavorable de la parité euro-dollar (40% des coûts d’une compagnie étant en dollar) et surtout « la hausse violente du prix du carburant ».
Avec le doublement du prix du Jet A1, le poids du poste (généralement entre 25% et 35% des coûts d’une compagnie) va considérablement s’alourdir cette année. « Après les deux années que l’on vient de passer, personne n’était couvert de façon significative sur 2022. Quand bien même, cela ne fait que décaler le problème. » Selon lui, il faut une augmentation des tarifs des billets de 20% pour encaisser le choc (et non couvrir totalement le surcoût) mais cela produit déjà des effets sur la demande : « nous ne sommes plus qu’à +4% de réservations à la fin du mois de mai [par rapport à 2019, ndlr], il y a un frein sur la demande à cause des augmentations tarifaires », constate-t-il, tout en reconnaissant que septembre et octobre s’annoncent déjà beaucoup moins dynamiques. « Je suis confiant pour l’été, pas enthousiaste, mais je suis très prudent pour l’automne. »
Un renchérissement généralisé des coûts
D’autant que le carburant n’est pas le seul à être devenu plus cher pour les compagnies. Le coût des matières premières augmente, avec ses répercussions sur l’activité maintenance, les coûts de personnel aussi, les salariés demandant une revalorisation de leurs salaires après deux ans d’efforts qui doit leur être accordée… « Cela va être une année très difficile pour le transport aérien, avec une situation très tendue les douze prochains moins sur le plan de l’économie des compagnies aériennes », assène Marc Rochet.
Thomas Juin, le président de l’Union des aéroports français et francophones associés, abonde en son sens. « Il faut relativiser : l’été est très attendu mais sur l’ensemble de l’année, nous serons toujours en retrait », et de nouveau en retrait à deux chiffres par rapport à 2019. Le secteur continue à prévoir un retour aux niveaux de 2019 à partir de 2024-2025 et jusque là, « il va falloir assumer un renchérissement des coûts » qui survient en même temps que les échéances des prêts contractés durant la crise. « L’automne sera le moment de vérité », où la relative euphorie estivale laissera place à ces coûts en augmentation, alors que la covid n’a pas disparu et que la situation géopolitique s’annonce incertaine.
Le fret aérien et l’aviation d’affaires sentent également le vent tourner
Olivier Casanova, le PDG de CMA CGM Air Cargo, évolue lui dans un secteur sorti grandi de la crise. Il rappelle que les tarifs du fret aérien ont parfois triplé par rapport à leurs moyennes historiques. Alors que le secteur commençait à voir sa croissance se ralentir légèrement avec le retour progressif des capacités en soute, la crise ukrainienne a de nouveau réduit l’offre (une trentaine d’appareils cargo sont immobilisés et plusieurs compagnies ne sont plus opérationnelles) et contribue à soutenir le niveau élevé des tarifs, malgré la fermeture du ciel russe qui a un impact d’une heure et demie à trois heures sur les vols vers l’Asie. Des incertitudes existent toutefois pour ce secteur aussi, selon lui. L’une d’elle est la complexité donc la fragilité des chaînes d’approvisionnement, qui a été soulignée par la crise, notamment à chaque confinement en Chine. Olivier Casanova s’inquiète également de l’impact du retour de l’inflation, qui pourrait avoir une incidence sur le e-commerce qui a joué sa part dans le succès du fret aérien durant deux ans.
L’aviation d’affaires, qui a rapidement rebondi après les premiers mois de crise pour pallier la perte de connectivité, connaît elle aussi ses défis. Charles Clair, président d’Aston Fly et Aston Jet, se réjouit d’avoir vu l’activité de sa compagnie augmenter de 30%. En revanche, il confirme également une augmentation générale de 25% des tarifs due à plusieurs facteurs : la pénurie d’avions d’affaires, celle de personnel navigant, le manque de pièces disponibles et leur renchérissement pour les activités de maintenance. Pour le moment, l’attractivité du service n’est pas remise en cause, contrairement à l’aviation commerciale. « Nous sommes très heureux aujourd’hui mais nous avons très peur de demain. »