Avec un besoin de 130 appareils d’entraînement à (très) court terme pour remplacer sa flotte actuelle, l’US Navy est loin de laisser insensibles les hélicoptéristes. C’est notamment le cas des deux constructeurs européens, Airbus Helicopters et Leonardo, qui ont profité du salon Heli-Expo, début mars à Atlanta, pour mettre en lumière leurs projets respectifs. Ils devront néanmoins composer avec la concurrence de l’hélicoptériste américain Bell, troisième concurrent de ce sprint dont le vainqueur sera connu avant la fin de l’année.
L’US Navy souhaite remplacer sa flotte actuelle de Bell TH-57B/C Sea Ranger, entrés en service dans les années 1980, par un système d’entraînement avancé pour hélicoptères (AHTS) – aussi identifié comme TH-XX ou Navy Trainer. Elle a placé cette compétition sous la devise « Buy in 2020, fly in 2020 ». Le vainqueur devrait être désigné en novembre, afin de finaliser le contrat et commander un premier lot de production dès le premier trimestre 2020. Les premières livraisons interviendront avant la fin de l’année, probablement au quatrième trimestre. Quatre autres lots devraient ensuite suivre jusqu’en 2024, avec des contrats de support associés.
D’ici là, le calendrier est serré et va obliger les constructeurs à « avancer vite », comme le note Scott Tumpak, vice-président des programmes militaires d’Airbus Helicopters Inc. (filiale américaine d’Airbus Helicopters). En effet, si un avant-projet a été dévoilé par le Naval Air Systems Command (Navair) en septembre 2018, l’appel d’offres (RFP) n’a été publié qu’en janvier de cette année.
La date limite de remise des propositions est fixée au 2 avril. « Nous travaillons sérieusement pour y arriver », assure Scott Tumpak. Et il faudra être aussi prêt pour la suite. Cette échéance sera immédiatement suivie d’essais de démonstration de performances des différentes machines, entre avril et mai.
Le prix ou la technique
Dans cette compétition, deux stratégies s’affrontent. Airbus Helicopters propose le H135, un appareil bimoteur, tandis que Leonardo se positionne avec TH-119, dérivé de son appareil monoturbine W119 Koala. Quand à Bell, après avoir hésité un temps entre le 407GXi monoturbine et le 429 GlobalRanger biturbine, il a arrêté son choix sur la première solution.
Pour justifier cette différence, Scott Tumpak s’appuie sur le fait que le Navair semble donner la priorité à l’aspect technique par rapport au prix, ce qui contraste avec le principe du « lowest price technical acceptable » (LPTA) de plus en plus fréquent dans les processus de sélection. De même, il estime que la sélection d’un bimoteur doté d’une avionique « tout-écran » avancée (en l’occurrence Helionix) et de performances supérieures assurerait une meilleure transition entre l’entraînement initial sur T-6B et le passage sur les flottes opérationnelles en « adoucissant la courbe d’apprentissage ».
Le vice-président des programmes militaires d’Airbus Helicopters Inc. déclare ainsi que le H135 fournirait « une meilleure efficacité des coûts de formation ». Il n’empêche que le constructeur européen prend un véritable risque, car son offre sera assurément plus chère que celles de ses concurrents, à l’achat mais aussi en coût d’opération.
Un argument que ne manque pas d’exploiter Leonardo, qui estime qu’avec le TH-119, il est à même de proposer un hélicoptère disposant des capacités d’un biturbine avec les coûts d’un monoturbine. Il s’appuie notamment sur le PT6B-37A de Pratt & Whitney, qui en fait le plus l’hélicoptère monomoteur le plus puissant en service avec 1 000 chevaux sur arbre (SHP). Ses performances dépassent ainsi largement celle du 407GXi et il rivalise avec le H135 en termes de masse maximale au décollage et de vitesse, voire de distance sur l’autonomie.
Gian Piero Cutillo, directeur général de la division Leonardo Helicopters, déclare ainsi : « Nous pensons véritablement que le monomoteur, dans notre configuration, est ce qui correspond le mieux pour le Navy Trainer. Nous sommes très confiants dans ce que le monomoteur peut faire. Il a toutes les caractéristiques demandées et c’est l’appareil le plus apte pour faire cette mission. »
Fort de ses performances, le TH-119 n’attend plus que la certification IFR de la FAA pour séduire l’US Navy. © Leonardo
Risques de certification
Le TH-119 mise aussi sur une avionique « tout-écran » fournie par Genesys, qui doit lui permettre d’obtenir une certification IFR (vol aux instruments) complète de la part de l’Administration fédérale américaine de l’aviation (FAA). Cette homologation, inhabituelle pour un hélicoptère monomoteur, est en effet exigée par l’US Navy.
Le premier vol de certification a eu lieu fin décembre 2018. L’agrément de la FAA était alors attendu début 2019, mais il semble que Leonardo ait encore un peu de chemin à faire pour y arriver. Andrew Gappy, directeur des ventes au gouvernement américain, s’est exprimé à ce sujet à Heli-Expo : « Nous continuons à faire voler l’appareil et que nous approchons de la fin. Nous avons fait des progrès significatifs et nous devrions avoir quelques résultats fin avril-début mai en ce qui concerne la certification. Gian Piero Cutillo nous a quelque peu mis au défi d’avoir un calendrier plus agressif et nous l’avons fait. »
Cela crée néanmoins une incertitude qui pourra peser dans la balance, si elle n’est pas résolue au moment des évaluations de performances. Le problème est identique pour le 407GXi. Bell s’est lui aussi lancé dans la course à la certification, mais semble partir de plus loin et n’a pas annoncé d’échéance pour son obtention. En face, Airbus Helicopters ne manque pas d’arguer que le H135 est certifié IFR depuis la fin des années 1990 (sous la dénomination EC135) et que son avionique Helionix a été homologuée par la FAA l’an dernier, d’où l’absence de risque de développement.
Capacités de production
Le dernier point différenciant se situera sur la capacité des constructeurs à tenir la forte montée en cadence exigée par le Navair et l’US Navy. Celle-ci souhaite la livraison de 28 machines la première année (qui se situera probablement entre octobre 2020 et septembre 2021), 36 les deux suivantes, et 30 la dernière. Cela donne un rythme de production élevé, avec trois hélicoptères livrés chaque mois.
Pour convaincre le Navair, Airbus Helicopters s’appuie sur son site de Columbus (Mississippi), qui peut se targuer d’avoir livré plus de 430 UH-72A Lakota dans les temps à l’US Army depuis 2007. Seule une quarantaine d’entre eux reste aujourd’hui à produire, l’assemblage de H135 viendrait ainsi à point nommé pour maintenir le niveau d’activité du site. Scott Tumpak espère néanmoins obtenir de nouvelles commandes de Lakota et assure que le site pourra assurer la production des deux appareils en parallèle.
Leonardo prévoit quant à lui de produire le TH-119 sur son site AWPC de Philadelphie (Pennsylvanie), qui assemble déjà les AW119, mais aussi les AW109/139/169. Enfin Bell devrait proposer une solution d’assemblage final aux États-Unis pour son 407GXi, jusque-là produit sur son site canadien de Mirabel (Québec).
Bell a finalement fait le choix du monoturbine avec le 407GXi © Bell