Alors que le marché des petits satellites s’apprête à connaître une croissance sans précédent, Airbus Defence & Space se place sur ce secteur. Le groupe européen vient ainsi de recevoir un contrat de la célèbre agence de recherche militaire américaine Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency) afin de développer une plateforme de satellite pour le programme de démonstration Blackjack. Celui-ci consiste évaluer le potentiel et les capacités d’une constellation réalisée à partir de plateformes civiles équipées de charges utiles militaires. Un autre industriel devrait être sélectionné en parallèle.
Lancé par la Darpa l’an dernier, avec le concours de l’US Air Force, Blackjack (anciennement Blue Check) doit démontrer la possibilité de remplacer de gros satellites militaires géostationnaires (GEO) par des constellations de petits satellites (60 à 200 unités), basés sur une plateforme commerciale standardisée. Ils devront ainsi fournir un maillage dense et interconnecté en orbite terrestre basse (LEO) pour réaliser un large panel de missions militaires : renseignement, surveillance et reconnaissance (ISR) électromagnétique, radar ou encore tactique avec des systèmes électro-optiques et infrarouges (EO/IR), de géolocalisation et de communication.
Airbus Defence & Space va donc travailler sur la mise au point de cette plateforme modulaire, qui devra répondre aux exigences du monde commercial en termes de capacités, de coûts et de cadences de production, mais qui sera également dotée d’emplacements spécifiques à même de recevoir des capteurs et des équipements militaires divers. Selon les premiers éléments fournis par la Darpa, cette plateforme répondra à un cahier des charges précis en termes de taille, poids, puissance et coût (SWaP-C).
La future plateforme sera dimensionnée pour accueillir une charge utile qui pourra atteindre 50 x 50 x 50 cm, en position de stockage (antennes repliés), pour une masse dépassant les 45 kg. Elle devra pouvoir lui fournir une puissance électrique de plus 150 W en moyenne, avec des pics à 500 W. De même, elle aura la charge de transmettre les données issues des différents capteurs qui composeront cette charge utile avec un débit supérieur à 1 Mbit/s. Enfin le satellite (plateforme et charge utile) sera conçu pour une vie opérationnelle d’au moins deux ans, avec une capacité à opérer de façon autonome (sans intervention humaine depuis le sol) allant jusqu’à 30 jours.
En termes de coûts, la Darpa demande de produire la plateforme pour moins de 3 millions de dollars et la charge utile pour moins de 1,5 million de dollars, coûts récurrents hors développement. Et elle vise des coûts de lancement inférieurs à 4 millions de dollars par satellite. L’objectif à terme est d’arriver à moins de 6 millions de dollars par satellite tout compris (plateforme, charge utile et lancement).
L’expérience OneWeb
Airbus Defence & Space entend ainsi mettre à profit son expérience dans la construction de satellites en grande série et à cadence élevée, et dans l’application de la démarche de conception à coût objectif (CCO, qui veut une réflexion autour de l’optimisation des coûts dès la conception).
Cette expérience a été principalement acquise depuis 2015 à travers le projet OneWeb, qui prévoit la construction de 600 petits satellites de télécommunication dont les premiers exemplaires doivent être mis sur orbite cette année. Tim Deaver, directeur des Programmes spatiaux américains au sein d’Airbus Defence & Space, indique ainsi que le groupe européen « a déjà co-investi plusieurs centaines de millions de dollars dans la technologie de production en grande série et la gestion de la chaine logistique et d’approvisionnement pour construire de grandes constellations de petits satellites ».
Airbus a ainsi largement développé son site de de Herndon (Virginie) ainsi que celui de OneWeb Satellites, coentreprise entre OneWeb et Airbus, situé à Exploration Park (Floride). Ce dernier a été dimensionné pour produire à terme deux satellites par jour afin de répondre aux cadences du projet OneWeb. Blackjack ouvre ainsi de nouvelles perspectives pour ces deux installations, qui devraient être au coeur du programme. Airbus travaille également à la recherche d’opportunités pour sa chaîne d’assemblage de Toulouse, construite pour la production des dix premiers satellites de OneWeb.
Airbus Defence & Space compte capitaliser sur l’expérience acquise avec OneWeb. © WorldVu
Gains opérationnels et financiers potentiels
Du côté de la Darpa, l’enjeu de Blackjack est d’étudier les retombées opérationnelles de cette stratégie : hausse de la résilience globale avec une constellation massive plutôt que des satellites uniques ou en faible nombre, couverture étendue, surveillance continue d’un grand nombre de cibles (identification, suivi, caractérisation), intégration rapide des nouvelles technologies avec un fort taux de renouvellement des satellites, etc.
L’Agence se concentrera aussi sur l’évaluation des aspects financiers, le but avoué du programme étant de développer une solution à moindre coût, en profitant de l’engouement actuel de l’industrie pour les constellations de satellites de télécommunication en orbite basse, capables de fournir des services de connectivité à travers le globe. Cette solution devrait apporter des avantages tels que des économies d’échelles avec des plateformes génériques plutôt que spécifiques, un gain de temps pour la conception et la production, des coûts de lancement moindres, etc.
Premiers lancement en 2021
Après 10 millions de dollars en 2018, la Darpa va investir 15 millions de dollars supplémentaires cette année. Au cours des douze prochains mois, la phase 1 du programme Blackjack a pour principal objectif d’achever la définition du concept (CoDR) et la revue de conception préliminaire (PDR) de la plateforme de satellite standardisée puis de débuter son développement. Ce travail sera donc mené par Airbus Defence & Space, mais la Darpa a annoncé vouloir sélectionner une autre équipe. Un travail similaire sera mené pour les démonstrateurs de charges utiles, avec six équipes en compétition.
L’Agence entend aussi lancer le développement des éléments de contrôle autonome et mener de premières expérimentations au sol et en orbite avec des constellations de satellites commerciaux, pour procéder à une levée de risques.
Le passage de ces différents jalons devrait permettre de lancer la phase 2 du programme avant la fin de l’année 2019, qui doit mener aux revues de conception critique (CDR) de la plateforme, des charges utiles et des systèmes et algorithmes de contrôle autonome en 2020. Deux équipes resteront en compétition sur la plateforme et quatre pour les charges utiles.
La phase 3 est prévue pour 2021, avec le lancement de deux premiers satellites. Les plateformes seront construites par un industriel unique, tandis que la production des charges utiles concernera encore trois équipes. Au bout d’une première période d’expérimentation de six mois, les deux satellites seront rejoints par 18 autres unités. Le programme de démonstration Blackjack se poursuivra alors tout au long de 2022, pour s’achever en fin d’année. Et la Darpa réfléchit déjà à la suite, avec le possible lancement de 70 satellites additionnels pour la constitution d’une première constellation complète.