Les ambitions spatiales de la Chine, notamment en direction de la Lune, ne sont un secret pour personne. Cela ne l’a pas empêchée de frapper un coup retentissant dans la matinée du 3 janvier. A 02h26 UTC (10h26 heure de Pékin), la sonde Chang’e-4 de l’Administration spatiale nationale chinoise (CNSA) a aluni comme prévu à 177,6 degrés de longitude Est et 45,5 degrés de latitude Sud. Elle est ainsi devenue le premier engin terrestre à se poser sur la face cachée de la Lune. Les précédents vaisseaux spatiaux, toutes nationalités confondues, ne l’avaient jusque-là que survolée. La sonde, composée d’un atterrisseur et d’une astromobile (rover), va désormais explorer le satellite naturel de la Terre. Elle a déjà transmis de premières images à Pékin via le satellite relais Queqiao (« Le pont de la pie »).
Chang’e-4 a quitté la Terre le 8 décembre à bord d’un lanceur CZ-3B. © CNSA
Une descente maîtrisée
Chang’e-4 avait quitté la Terre le 8 décembre dernier depuis le centre de lancement de satellites de Xichang (XSLC) à bord d’un lanceur Chang Zheng-3B (CZ-3B ou « Longue Marche-3B »). Selon la CNSA, le processus d’atterrissage a été lancé à 2h15 UTC alors que la sonde se trouvait à 15 km au-dessus de la surface lunaire. A l’aide de son moteur à puissance variable 7500 N, elle a entamé sa descente et réduit sa vitesse relative par rapport à la Lune de 1,7 km/s à 0 m/s.
Après quelques ajustements entre 6 et 8 km d’altitude, la sonde a poursuivi sa descente, jusqu’à se positionner en vol stationnaire à 100 m d’altitude, afin d’identifier les obstacles potentiels et sélectionner une aire d’atterrissage relativement plane. Cette phase a donné lieu à de premières prises de vue. Le Centre de contrôle et de commandement aérospatial de Pékin a alors envoyé l’ordre de se poser à la sonde. Après une descente verticale autonome de 690 secondes, elle a touché le sol lunaire au niveau du cratère Von Kármán dans le bassin Pôle Sud-Aitken.
Chang’e-4 a ensuite déployé ses panneaux solaires et ses antennes directionnelle. Cela lui a notamment permis d’établir une liaison à haut débit avec Queqiao. Une première photo prise par la caméra de l’atterrisseur à la surface de la Lune a été envoyée 3h40 UTC. Elle devrait indiquer la direction qui sera prise par l’astromobile pour débuter son exploration. Le moment idoine de sa séparation d’avec l’atterrisseur n’a pas encore été déterminé.
Image prise par Chang’e-4 lors de sa descente. © CNSA
Charges scientifiques
La sonde comporte en tout huit charges utiles différentes, dont deux développées en coopération internationales. L’atterrisseur comprend ainsi une caméra topographique, une caméra d’atterrissage, un analyseur de spectre radio basse fréquence, ainsi qu’un dosimètre neutron mis au point dans le cadre du projet Lunar Lander Neutron Dosimetry (LND), réalisé avec l’université de Kiel en Allemagne.
L’astromobile comprend pour sa part des détecteurs de neutrons lunaires et de doses de rayonnement radioactif, une caméra panoramique, un radar à pénétration de sol, un spectromètre pour le visible et le proche-infrarouge et enfin un détecteur à atomes neutres énergétiques (ENA), conçu avec l’Institut suédois de physique spatiale.
Ces instruments permettront d’étudier la topographie, la composition minérale, la structure de la surface, ainsi que le rayonnement électromagnétique de cette partie moins connue de l’astre lunaire et dont la composition est considérée comme plus ancienne que celle de la face visible. Elle devrait aussi offrir des possibilités d’observation radioastronomiques.
Ces informations seront retransmises vers la Terre via le satellite relais Queqiao. La face cachée de la Lune est en effet inaccessible par des communications directes. Lancé en mai 2018, Queqiao est donc placé en orbite autour du point de Lagrange L2 du système Terre-Lune, situé à environ 65 000 km de la Lune et à 450 000 km de la Terre, d’où il peut établir une communication directe simultanée avec Chang’e-4 et notre planète.
L’astromobile et l’atterrisseur de Chang’e-3 sur la Lune en 2013. © CNSA
Un programme ambitieux
Chang’e-4 fait partie du Programme d’exploration lunaire chinois (CLEP). Comme ses prédécesseurs -Chang’e-1 lancé en 2007, Chang’e-2 en 2010 et Chang’e-3 en 2013 – elle est nommée d’après une déesse de la Lune de la mythologie chinoise. Les deux premières missions ont été dédiées à l’étude orbitale et la cartographie de la Lune, ainsi qu’aux essais du système de relais de communication. Chang’e-3 a été la première à se poser, sur la face visible de l’astre, et à l’explorer avec son rover Yutu (« Lapin de jade »).
La sonde Chang’e-4 était initialement prévue comme solution de secours en cas de défaillance de Chang’e-3. Cette dernière ayant réussi sa mission, il a été décidé d’envoyer Chang’e-4 sur la phase caché de la Lune. Le départ de la mission, initialement prévu en 2015, a néanmoins dû être reporté jusqu’à fin 2018, soit plus de trois ans de retard. Il a notamment fallu adapter la sonde aux écarts de températures entre la nuit (jusqu’à -173°C) et le jour lunaires (jusqu’à +127°C), qui durent chacun 14 jours terrestres. Chang’e-4 intègre notamment pour cela cinq éléments chauffants à radioisotope (RHU).
Le CLEP prévoit encore deux missions Chang’e-5 et 6, prévues respectivement fin 2019 et en 2020 à bord d’un lanceur CZ-5. Elles doivent introduire le retour d’échantillons sur Terre, un vaisseau spatial ayant déjà été testé à cet effet. L’objectif final est de préparer l’envoi d’hommes sur la Lune à l’horizon 2030.