Avec la présentation du Plan d’étude amont « Man-Machine-Teaming » (PEA MMT), le 16 mars, Florence Parly, la ministre des Armées, a confirmé son ambition de faire entrer l’intelligence artificielle au coeur de l’aviation de combat française. Cette mission a été confiée à Dassault Aviation et Thales, qui devront s’appuyer sur un écosystème de PME, start-up et laboratoires pour y parvenir. Jean-Michel Hermer, directeur des programmes de drones de combat chez Thales, a accepté de répondre au Journal de l’Aviation pour mieux comprendre ce que sera ce PEA MMT.
Comment se structure le programme MMT ? Quels sont ses objectifs ?
La Direction générale de l’Armement (DGA) a notifié un contrat à Dassault Aviation et Thales le 18 décembre 2017 pour l’introduction de l’intelligence artificielle dans l’aviation de combat. Il s’agit ainsi de préparer le futur. La durée de ce contrat est de 36 mois.
Un budget (de 30 millions d’euros, NDLR) est alloué par la DGA à Dassault et Thales. Il sera utilisé pour financer une quarantaine de projets différents, ce qui est tout à fait intéressant. Cela permettra de maturer un écosystème d’environ 200 participants, composé de PME, start-up et laboratoires.
Le PEA MMT a ainsi plusieurs objectifs. Il doit définir des concepts d’autonomie, d’interactions homme-système et d’intelligence artificielle, et permettre la maturation de briques technologiques à travers cet écosystème.
Comment les membres de l’écosystème vont-ils être intégrés au programme ?
Ils vont être consultés au travers de deux lots d’appels. Le premier aura lieu vers avril ou mai, le second suivra un an plus tard. Chacun d’entre eux durera entre douze et dix-huit mois. Il leur sera demandé une réponse synthétique, d’une page ou deux, aux questions posées. Il y aura ensuite un processus de sélection en lien avec la DGA.
Les projets retenus permettront d’explorer un concept, avec au départ un faible niveau de TRL, de l’ordre de 2 ou 3. L’objectif sera de les faire monter en maturité, d’un ou deux niveau de TRL. Des « proofs of concept » seront menées pour valider le travail réalisé. Nous espérons ensuite pouvoir continuer à développer certains de ces projets au-delà du PEA.
Jusqu’où iront les essais ?
Je ne pense pas qu’il y aura des proofs of concept sur avion au vu du bas TRL des projets. Par contre, nous disposons de nombreux moyens de simulation. Nous pourrons tester un algorithme avec des données simulées ou réelles et voir s’il rend le service attendu. Nous pourrons aussi utiliser des maquettes.
Quels seront les domaines de recherche ?
Le travail se portera sur trois volets. La gestion de mission qui sera portée par Dassault Aviation, les interactions homme-machine et les chaînes de capteurs menées par Thales.
Nous allons émettre au moins une vingtaine de sujets différents pour chaque lot d’appels et nous retiendrons les plus intéressants en fonction des réponses. Ces sujets seront définis par Thales et Dassault Aviation en relation avec la DGA.
Il y aura une activité de « design thinking », avec des séances de créativité avec les opérationnels. Elles permettront de déterminer quels sont les problèmes avec les équipements actuels et quels sont les points d’amélioration possibles. Nous allons ainsi pouvoir identifier les sujets qui vont permettre ces améliorations grâce à l’intelligence artificielle, les confier à l’écosystème, puis récupérer les projets les plus prometteurs pour continuer à les faire progresser.
Trois pilotes préparent leur mission à l’aide d’une table tactile. © Dassault Aviation / P. Didier
Avez-vous déjà identifié certains de ces sujets ?
Les missions des pilotes de combat ne sont pas un long fleuve tranquille. Ils ont un important flux d’informations à traiter avec une pression énorme. Il faut par exemple voir comment optimiser la nature et la forme de ces informations pour alléger leur charge de travail.
Nous allons repenser les interactions homme-machine dans le cockpit du futur. Le cockpit connaîtra son pilote et s’adaptera à lui. La machine fournira la juste information au bon moment pour éviter les surcharges de travail.
Sur les chaînes de capteurs, nous allons regarder comment améliorer la qualité du service rendu. Plutôt que de fournir une image, nous pouvons par exemple essayer de fournir directement l’information issue de l’image dont le pilote a besoin.
Il y a aussi le séquencement des opérations. L’intelligence artificielle peut libérer le pilote de la tâche de changer le mode d’un capteur lors du passage d’une séquence à une autre et optimiser automatiquement le fonctionnement de la chaîne. Elle peut aussi servir à adapter au mieux une trajectoire en tenant compte des conditions extérieures. A l’inverse, nous devrons aussi optimiser les capteurs en fonction de l’intelligence artificielle.
Ce travail ne concernera-t-il que les avions de combat ?
Je prends beaucoup l’exemple d’un avion de combat, mais ces améliorations peuvent aussi servir aux futurs drones de combat ou aux drones MALE. La maintenance est aussi couverte, notamment avec la maintenance prédictive, grâce à l’utilisation du big data, qui est consubstantielle à l’intelligence artificielle.
Les acteurs directs de ce PEA sont des gens de l’aviation de combat, mais le groupe Thales est fédéré et les personnes ne sont pas repliées sur elles-mêmes. Le traitement des données est un domaine technique clef, transverse, sur lequel nous échangeons entre les différentes branches du groupe. Cela entre dans la transformation numérique de Thales, comme la connectivité, le big data ou la cybersécurité. Des « digital champions » ont été désignés pour chaque division pour porter ces échanges et le chef de projet MMT est l’un d’eux.
Est-ce qu’il y aura aussi de la diversité parmi les membres de l’écosystème ?
Un certain nombre des problématiques de MMT est complètement transverse, comme l’imagerie. Les radars et l’optronique sont assez spécifiques, mais l’imagerie dépasse le monde de la défense. C’est le cas dans l’automobile avec les capteurs des voitures autonomes par exemple. C’est un secteur qui travaille ainsi sur la photo-interprétation automatique des images et la compréhension de cette information, avec des capteurs qui apprennent les uns des autres.
Nous allons aussi travailler avec des spécialistes de l’ergonomie et de la neurologie, pour arriver à optimiser la charge de travail du pilote en fonction des phases de pilotage.
Allez-vous enjoindre des candidats à s’associer sur certains sujets ?
Aujourd’hui, les appels seront indépendants, même si des candidats peuvent s’associer s’ils le souhaitent. Après, sur un sujet donné, si deux copies intéressantes présentent des approches et des technologies différentes, on ne s’interdit pas de les retenir toutes les deux.
L’objectif est de maturer un écosystème et que celui-ci vive.