« L’armée de l’air va avoir les AWACS les plus modernes du monde ». Claude Bellier, responsable du produit AWACS chez Air France Industrie KLM Engineering & Maintenance (AFI KLM E&M), n’est pas peu fier du travail effectué sur les quatre avions de détection et de commandement aéroportés qui volent sous cocarde française. Seule l’US Air Force possède des AWACS à un tel standard.
Le quatrième et dernier AWACS de la flotte se trouve actuellement dans les hangars d’AFI KLM E&M à Roissy, il y subit un vaste chantier de rénovation à mi-vie (MLU – Mid-life upgrade), en même temps qu’un chantier de grande visite. La flotte étant composée de quatre avions, le couplage « MLU-grande visite » a permis de ne pas immobiliser deux AWACS simultanément.
Le design industriel a été effectué par Boeing, maître d’oeuvre du chantier, tandis qu’AFI KLM E&M est intégrateur des modifications de l’avionneur américain. « Le montage industriel n’est pas simple », selon Claude Bellier. En effet, Air France Industries KLM Engineering & Maintenance, qui effectue à la fois le chantier MLU et la grande visite, a donc deux clients, respectivement la DGA et la SIMMAD (Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la Défense), mais aussi un donneur d’ordre industriel, Boeing. Plusieurs interlocuteurs pour double chantier, avec un dialogue permanent entre toutes les entités concernées, AFI KLM E&M se félicitant d’un dialogue « de partenariat » et de « véritable confiance » avec Boeing.
Pour la MLU, Boeing est maître d’oeuvre, l’US Air Force maître d’ouvrage, et AFI KLM E&M intégrateur des modifications. La DGA a quant à elle signé un contrat FMS (Foreign military sale) en 2008. Pour mémoire, ce contrat avait été décalé dans le temps, en raison d’un blocage du département américain de la Défense. Le Pentagone avait sorti son carton rouge en raison d’un risque de compromission d’informations. A l’époque, l’Iran avait annoncé avoir abattu un drone américain RQ-170, le gouvernement avait alors décidé de vérifier tous ses programmes internationaux.
Les modifications apportées par la MLU portent sur les systèmes de mission, notamment la partie logicielle, avec les capacités d’identification, le simulateur de mission et les systèmes de préparation de mission, mais ce chantier MLU a également permis un « bond technologique », avec le remplacement des consoles opérateurs par des ordinateurs plus puissants. « Jusque-là, on avait un système informatique qui datait des années 90, il fallait bien les changer parce que ça devenait complètement obsolète, on arrivait en limite de capacité de traitement des signaux tellement les opérations aériennes sont devenues complexes », raconte Claude Bellier. « Le saut qualitatif est important, on passe d’une génération x86 à Windows 7 ». Les calculateurs devenus plus compacts, il a ainsi été possible d’ajouter cinq postes de travail supplémentaires, avec intégration de toutes les informations sur les écrans de chaque ordinateur. « Avant, il y avait une fonction dédiée par poste, aujourd’hui, toutes les consoles peuvent faire le même travail », détaille Bernard Moret, responsable production.
Le premier exemplaire avait entamé son chantier de rénovation en juin 2013 dans les hangars du Bourget et en était sorti en janvier 2014. Le travail a été quelque peu accéléré pour les trois avions suivants, comme l’explique Bernard Moret : « Il est certain que le premier projet c’est vraiment de l’expérimentation, qui dure donc beaucoup plus longtemps. Tout projet de cette ampleur est compliqué sur le premier avion ». Le design sur plan par rapport aux données constructeur s’est ainsi heurté à la réalité du terrain : « Nous avons constaté un certain nombre de déviations sur le premier chantier par rapport au design d’origine », expose Bernard Moret. Qu’il s’agisse de câblages, de découpe de meubles, ou encore de supports implantés à un endroit différent, il a fallu à chaque fois reprendre la partie ingénierie, s’arrêter, questionner Boeing sur la conformité et attendre les réponses de l’avionneur avant de reprendre les travaux. « Avant même de tester quoi que ce soit, il faut résoudre tous ces problèmes-là ». A la fin du premier chantier, les plans ont été remis à jour, même si « on a retrouvé des différences », l’environnement, voire même la cellule, n’étant pas forcément identiques d’un avion à l’autre.
Sur le chantier, ce sont essentiellement des mécaniciens avion et structure qui travaillent sur l’AWACS. Il y a encore quelques semaines, l’avion n’était qu’une carcasse vide, amputée également de sa dérive et ses plans horizontaux à l’arrière. « Nous avons tout enlevé dans l’avion pour faire les modifications de structure et le câblage », détaille Bernard Moret. Avec le passage à une génération plus récente d’ordinateurs, les gros meubles de calcul ont disparu, ils ont été remplacés par deux meubles serveurs, « le coeur du système », qui permettent à l’AWACS de fonctionner en réseau.
L’ajout de cinq nouvelles consoles au niveau du caisson central de l’avion a nécessité quelques travaux de structure, avec le remplacement des poutres flottantes et le renforcement des raidisseurs et du plancher. Les câblages ont également été remplacés, afin de pouvoir alimenter les deux serveurs et les consoles. Une bonne partie du câblage, « des kilomètres », est sous-traitée à Labinal. A l’arrière, la zone de repos, bien qu’elle ait été démontée pour les besoins du chantier, n’a en revanche pas subi de modification, à l’exception notable du système d’oxygénation d’urgence.
Sur la version antérieure des AWACS, il n’existait que deux possibilités d’alimentation en oxygène sur une rangée de trois sièges, celui du bord devant se brancher sur une bouteille portative en cas de nécessité. Le système comprend à présent trois régulateurs, les masques tombant désormais comme sur un avion de ligne. « Ce n’était pas une modification de Boeing à la base, mais nous avons donc profité de la MLU pour le faire », raconte Bernard Moret.
« Durant la visite, on a déposé la dérive, les plans horizontaux à l’arrière, on a déposé aussi des éléments mobiles de commandes de vol, on les a révisés, avant de les remonter », expose Magali Jobert, responsable unité de maintenance AWACS. Les travaux achevés, il s’agit ensuite de remonter les principaux éléments de voilure, les systèmes électriques, remettre l’avion sous tension et en hydraulique, « un jalon très important » précise-t-elle, en poursuivant : « une fois qu’on a reconfiguré l’avion, on va rentrer dans une phase de tests, une fois que ceux-ci seront validés, on achèvera de reconfigurer l’avion. Ensuite, des contrôleurs referont le plein de l’avion, puisqu’on a vidé les réservoirs et qu’on a vérifié l’intérieur, l’étanchéité de ceux-ci sera vérifiée. On va ensuite sortir l’avion, démarrer les moteurs et la phase d’essais au sol et en vol ». Ces essais se poursuivront « jusqu’à ce qu’ils soient complètement finalisés par rapport à notre protocole de maintenance et qu’on puisse délivrer une approbation pour remise en service de l’avion ».
Si les moteurs du quatrième exemplaire ont été rallumés cette semaine, conformément au planning, le premier exemplaire a quant à lui déjà effectué ses premières missions opérationnelles. « L’armée de l’air en est très contente », assure-t-on chez AFI KLM E&M. La mise en service opérationnelle a été prononcée en mai 2015, l’avion radar est parti « dans la foulée » et les personnels à bord ont pu mesurer les avancées en termes de capacité de traitement des informations notamment.
Ce quatrième et dernier AWACS doit être mis à disposition de Boeing la première semaine de mars et partira ensuite pour Avord, afin d’y effectuer ses tests de réception. Avant de s’envoler vers de nouveaux horizons opérationnels.